Rien que la vérité

épisode 1_01

idée et rédaction de Jade

 

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*      *      *

            La journée avait été longue. Et elle n'était pas finie. Sitôt après les cours, Jess passa un coup de fil chez elle, et tomba sur le répondeur. Elle laissa un bref message disant qu'elle rentrerait un peu plus tard, mais que Lisa la racompagnerait. En fait Lisa s'était proposée de venir la chercher à la sortie du lycée. Mais la jeune fille avait refusé. Elle avait besoin d'être seule. Lauren et David l'avaient compris et étaient partis avec Lisa en voiture. Diana et Sébastien avaient terminés les cours plus tôt et les attendaient sur place. C'est pourquoi elle était seule dans le bus qui la conduisait en direction du centre hospitalier. Enfin pas vraiment seule. Elle réalisa que, contrairement aux autres, elle n'avait pas dit à ses parents que Lucie était hospitalisée. La communication entre eux s'était donc à ce point dégradée ? Le pire étant qu'elle s'en moquait. Elle ne pensait qu'à Lucie, qu'elle risquait de perdre, par sa faute.

- Effectivement, c'est ta faute, confirma une "voix" mentale.

Même si elle le pensait, Jess était étonnée qu'Angel lui fasse une telle déclaration aussi brutalement.

- Ce n'est pas ta faute Jess, tu ne lui as pas tiré dessus, se contredit la Daeren.

- Tu viens de dire le contraire, pourtant.

- C'est toi qui l'a dit, Jess.

- En fait ce n'est aucune de vous deux.

Cette voix là n'appartenait ni à Angel, ni à Jessie. Il y avait une troisième personne en communication mentale.

- C'est pas vrai... gémit intérieurement la jeune terrienne.

- Qui êtes vous ? demanda Angel d'un ton posé.

- Judicieuse question, répondit le troisième.

Sa voix était résolument masculine. Et soudainement, il prit forme dans les esprits d'Angel et de Jessie. Elles fermèrent les yeux, et son image se précisa. Il était assez grand, son visage était un peu émacié, son front large et ses yeux inquisiteurs. Il souriait, d'un sourire un peu dingue, ce qui le rendait légérement effrayant. Mais le voir rassurait Jess. Si il avait une apparence à part entière, il ne devait pas être à proprement parler dans sa tête. Tout au plus ne faisait-il que passer.

- Vous pouvez m'appeler le Médiateur, dit l'homme. Parce que je ne suis ni d'un coté, ni de l'autre. Et pas au milieu non plus.

- Ca a le mérite d'être clair, fit sarcastiquement Jessie.

- L'humour humain.... s'extasia le Médiateur. Ca c'est un truc que vous les Daerens n'auraient jamais. Evidemment, dans votre monde parfait, vous n'avez pas de raison d'être cyniques... Mais je ne suis pas venu parler de ça. Je viens vous aider.

Jess et Angel ne répondirent rien, attendant d'entendre ce qu'il allait dire.

- Je ne peux malheureusement pas rester longtemps cette fois-ci. Mais je vais vous donner un conseil : abandonnez tout de suite votre projet insensé.

- Pourquoi cela ? l'interrogea Angel.

- Parce que c'est voué à l'échec.

Il fit un signe de la main, et Jess ouvrit soudainement les yeux. Elle était assise dans le bus. Seule. Elle ne ressentait pas la présence d'Angel. Elle prit peur.

Angel était seule avec le Médiateur. Elle n'était plus dans le bus avec Jessie. Elle était sans doute dans le même endroit que lui. Comme lui, elle était sous sa véritable apparence, et dans le néant. Autre élément lui prouvant qu'il était dans la même réalité, sa voix n'était plus dans sa tête mais bien concrète.

- Je veux vous parler seul à seul quelques instants Angel. Car je vous connais, je vous connais bien. Vous n'êtes pas un ange comme les autres. Mais ça vous ne vous en rappellez pas. Qu'est-ce que ça fait d'être amnésique Angel ? De ne plus savoir qui l'on a été ? Qu'importe, je vais vous dire qui vous êtes. Vous êtes un ange qui a un grave défaut : vous croyez en ces humains. Vous êtes sincérement persuadée qu'ils peuvent changer. Mais ils ne le peuvent pas.

- Pourtant ceux qui...

- Laissez moi finir. Ceux que vous connaissiez n'ont pas changés : ils étaient déjà différents. Et que sont-ils devenus ? Votre dernière hôte est morte, la suivante vient de perdre sa meilleure amie, et souffre. Le fait est que vous apportez le malheur autour de vous, et aux rares humains qui ne le méritent pas.

- Personne ne mérite le malheur.

- Vous avez peut-être raison, peut-être pas. Mais ça ne change rien au fait que vous êtes l'ange messager de la souffrance. Vous qui vouliez aider ce monde ! N'est-ce pas là le comble de l'ironie ?

Avant qu'Angel ait pu se remettre ou répondre quoi que ce soit, elle se retrouva dans le corps de Jess. Des larmes se mirent à couler le long de son visage. Et Jessie n'était plus là.

A son tour, la jeune fille était en tête à tête avec le Médiateur. Dans le noir.

- Je voudrais que l'on ait une conversation privée. Car cacher tes pensées à Angel est le meilleur moyen de la combattre.

- La combattre ?

- Oui. Il faut combattre sa folie. Oh, ne me dis pas que c'est trop tard, qu'il n'y a plus la moindre petite parcelle de ton être qui refuse cette réalité.

- Que voulez-vous dire ? demanda t-elle perplexe.

- Angel n'existe pas. Tu l'as crée, comme tu m'as crée. Tu l'as crée elle, parce que tu te sentais seule. Seule avec toute la douleur du monde sur tes épaules. L'empathie n'est pas un don, tu l'as compris. Toutes les émotions des autres que tu ressentaient t'ont à ce point affectées que tu t'es sentie obligée de créer cet ange, à l'esprit tellement tolérant qu'il contrecarrait les sentiments négatifs des gens autour de toi.

- Pourquoi vous aurais-je créé vous ?

- Parce qu'il y a encore une partie de toi qui désire guérir. Ton inconscient m'a crée pour que j'élimine Angel de ta tête. Quand cela sera fait, je disparaitrai à mon tour.

- Mais Angel m'a prouvé son existence.

- Tu parles de ses petits tours de magie ? C'est toi qui a fait ça Jess.

Il la tutoyait, l'appelait par son diminutif. Elle était génée par cette familiarité.

- Tu es capable d'ouvrir ton esprit, c'est vrai. Mais à quoi cela peut-il te servir si tu es folle ?

- Je ne suis pas folle.

- Nous verrons, fit-il avant de disparaître.

Et Jess se retrouva de nouveau dans le bus, en elle-même. Avec Angel.

- Je suis contente de te voir, lui dit celle-ci.

- Moi aussi. Mais qui était-ce ?

- Je l'ignore. Je sais seulement qu'il ne dit pas des choses agréables.

- A qui le dis-tu.

- Tu veux en parler ?

Jess ne voulait pas lui en parler. Parce que quelque part, elle craignait que les paroles du médiateur ne soient vraies. Elle ne savait pas ce qu'il avait dit à Angel, mais sentait qu'elle éprouvait la même réaction. Cet homme était très fort. Toutes les deux ne l'avaient rencontrées qu'une fois, et il avait déjà réussi à mettre quelque chose entre elles. La première brique de ce qui deviendrait un mur si elles ne se décidaient pas à se parler. Ce qu'elles ne ferait pas pour l'instant.
Le car était arrivé à l'arrêt souhaité, et elles descendirent, pensives.

 

*      *      *

        Jess pénétra dans le hall de l'hopital, et de nouveau se retrouva plongée en plein chaos. Mais une présence famillière était là pour la guider. Sebastien.

- Comment tu vas ? lui demanda t-il, soucieux.

- Ca va, mentit elle. Et toi ?

- Ca va aussi.

Ce n'était pas vraiment une conversation, mais Jessie et Sebastien appréciaient tout de même. Ils avaient besoin de parler, même s'ils ne savaient pas quoi dire. Ils s'enlacèrent quelques minutes, le temps que Jess sèche ses larmes.

- Tu as des nouvelles de Lucie ?

- Ils l'ont mises dans une chambre spéciale en attendant de voir comment son état va évoluer. Elle ne va pas bien Jessie. Elle n'a pas reprit conscience.

Cette fois c'était lui qui pleurait, sans bruit.

- Ils disent que plus le temps passera sans qu'elle émerge, moins il y aura de chances que ça se fasse.

Sous le choc, la jeune fille s'asseya à même le sol. Son ami se plaça à côté d'elle.

- Je peux te parler ?

Elle hocha la tête sans le regarder.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? Ils nous ont dit qu'on lui avait tiré dessus. Les ambulanciers l'ont trouvés dans un hôtel. Je sais aussi que tu étais présente, ma soeur aussi, et que le proprio de l'hôtel en question s'est fait coffrer pour proxénétisme.

- Comment tu es au courant ?

- J'ai cherché. J'ai le droit de connaître la vérité. Les autres aussi. J'ai parlé à Lauren, du moins j'ai essayé. Elle n'ont plus ne veux rien me dire. C'est ma soeur merde ! Pas ma soeur biologique, mais ma soeur quand même. Et toi tu es une personne très importante pour moi, tout comme Lucie.

Elle ne répondit rien et détourna la tête. Elle savait qu'il ne se mettait presque jamais en colère, et le voir dans cet état la culpabilisait.

- Nous formions un groupe d'ami soudé Jess. Qu'est-ce qui est venu se mettre entre nous ?

- Moi, pensa Angel. Le Médiateur avait raison...

- Non, lui répondit Jessie. Pourtant Angel n'avait pas tout à fait tort...

Comprenant que son amie ne lui dirait rien pour l'instant, Sebastien décida de changer de comportement. Jess était boulversée par l'accident. Elle ne parlerait pas maintenant. Elle ne parlerait peut-être pas plus tard non plus. Mais en cet instant précis, ça n'avait pas d'importance. Ce qui était important, c'était de la soutenir.

- Allez viens.

Il l'aida à se relever et l'emmena vers la chambre de Lucie. Les autres étaient là. A l'extérieur. Ils n'avaient pas le droit de rentrer. Seul Lisa le pouvait. Elle avait choisi de ne pas le faire, à l'egard de ses jeunes amis. Jess s'appuya contre la vitre et regarda sa soeur. Comme pour Lauren et Sebastien, ce n'était pas sa soeur biologique, ni même légale. Mais le lien qu'il y avait entre elles était infiniment plus fort que ceux du sang ou de la loi.
Lucie était étendue dans un lit, pale et inerte. Un tuyau était fixé à son visage, un autre faisait couler un mince filet de sang dans son bras. Cela respirait et la maintenant en vie pour elle. Pendant ce temps, Lucie se reposait. Elle l'avait bien méritée.

- Il faut qu'elle se réveille. J'ai besoin d'elle.

- Je sais, lui dit Seb, à ses cotés.

- Je m'en voudrai. Je me sentirai coupable chaque jour que Dieu fait.

- Dieu ne fait pas les jours, rétorqua philosophiquement Sebastien. Il se contente de les regarder passer.

Jessie se tourna vers lui et lui décocha un petit sourire. Elle avait retrouvé le vrai Sebastien. Il ne manquait plus que Lucie, et la vraie Jessie.

 

*      *      *

        Eddy se régalait. Cela faisait des années qu'il n'avait pas mangé comme ça. Pourtant il ne s'agissait que d'une vulgaire nourriture de fast-food. Et le fait de manger dans un petit abri de jardin au sein d'une grande propriété de pingres n'otait rien à son plaisir.

- Doucement, vous allez vous étouffer, disait Tania en riant.

- On pourrait peut-être se tutoyer non ?

- D'accord. Alors vous... tu vis comme ça depuis longtemps ?

- Depuis que j'ai perdu mon travail.

Avant que Tania puisse dire autre chose, la porte s'ouvrit. Tous les muscles d'Ed se contractèrent. Il était tel un fauve près à bondir... sur une gamine..

- C'est une amie, intervint Tania. Angel, Eddy, les présenta t-elle.

- Elle s'appelle Jessie, corrigea Ed.

- C'est exact, enchaîna Tania. Vous vous connaissez ?

- Elle me donne de l'argent de temps en temps, fit Ed en désignant Jessie.

- Mais je ne vous ai jamais dit mon nom, remarqua Jess.

- C'est vrai. C'est ta copine qui me l'a dit une fois. Lucie.

Ed connaissait Lucie. Et la connaissait. Il ne posa pas de questions au fait que Tania l'ait appelé Angel. Tant mieux, mais comment Ed connaissait-il Lucie ? Le plus simple était de lui demander, ce qu'elle fit.

- Je l'ai rencontrée à cause de son boulot.

Bien sûr, elle aurait du y penser.

- Il y avait une photo de toi sur son bureau, et je lui ai dis que je te connaissais de vue. Elle m'a donné ton nom. Voilà, ce n'est pas un grand mystère.

- Pourquoi es-tu venue ? lui demanda Tania.

- Savoir si tu allais bien. Et te dire quelque chose.

Elle s'arrêta un instant, regarda Ed. Il comprit, et sortit en ralant, plus pour la forme que pour autre chose.

- J'ai parlé avec l'inspecteur Riker. Vasquez t'accuse du meurtre d'Holly et d'avoir tiré sur Lucie. Il sait que tu ne reviendras pas contredire sa version, tu es obligée de te cacher. Ce qui signifie que je vais devoir témoigner, avec Lauren pour démentir cett version.

- Et tu ne sais pas quoi raconter.

- Si je dis la vérité, je devrais admettre que je te connaissais, que je connaissais Holly et que j'étais impliquée dans l'affaire. Et si je ments, les faits et les preuves me contrediront. Le vrai problème n'est pas là. Les flics qui ont coffrés Vasquez ne lui ont pas lu ses droits. C'est suffisant pour déclarer un non lieu et le relacher.

- Il y a une solution. Angel sait influencer les esprits. Je suis sûre qu'elle se rappelle comment.

- Je ne veux pas faire ça, répondit la Daeren.

Tania la prit par les épaules.

- Tu n'as pas changée malgré ton amnésie tu sais. A situation desespérée, mesure desespérée. Tu dois juste effacer quelques  petits éléments de leurs mémoires. Ce n'est pas un crime. Ce n'est pas la solution idéale, mais c'est la seule.

- Angel, je ne veux pas que ce type s'en sorte.

C'était à contre-coeur, mais Angel accepta. Les autres avaient raison. Pas d'autre alternative. Elle et Jess remercièrent Tania, et partirent, la laissant avec Ed et lui faisant promettre d'être prudente. Puis elles rentrèrent à la maison, à pieds. Alors qu'elles rejoignaient leur quartier, il revint, quelques secondes.

- Manipuler les esprit. Jessie, Angel, vous me decevez.

- Partez, dit Jess.

- Vous savez pourquoi vous ne m'aimez pas ? fit le Médiateur. Parce que je suis celui qui vous montre les vérités que vous préféreriez ignorer.

- Partez, répéta simplement Jess.

- Pensez à ce que vous vous apprétez à faire, demandez vous si cela est digne de vous.

Il disparut. Angel et Jessie étaient de nouveau seules, avec les doutes qui les rongeaient.

 

*      *     *

        Ce n'était pas un rêve. Ce que pensa Jess en se levant, le matin du premier jour. Elle se sentait nauséeuse, malade. Mais il fallait qu'elle se lève, qu'elle se rende en cours, imite la signature de sa mère sur un mot prévenant son abscence pour l'après-midi, se rende au palais de justice, témoigne. Seul point positif : Riker lui avait dit la veille que Mallory, l'avocat de Vasquez, s'était arrangé pour que l'affaire reste discrère, qu'il n'y ai aucun média.

L'après-midi arriva vite. Lauren et Jess n'allèrent pas déjeuner, elles n'avaient pas faim. Elles étaient maintenant dans un des petits tribunaux du palais, assise sur les bancs des spectateurs. La foule autour d'elles était relativement peu compacte.

- Hé, regarde !

Jess suivit le regard de son amie et vu deux personnes qu'elle connaissait bien dans l'assemblée. Ses professeurs, messieurs Barnett et Willis. Elle savait que Diana leur avait parlé de l'agression de Lucie. Mais Diana ne savait pas qu'on avait arrêté le responsable, ni que Lauren et elle-même devait témoigner lors d'un procès. Alors comment ses profs étaient-ils en courant ? Barnett la repéra et fit signe à Willis. Ils vinrent vers elles.

- Lauren, Jessie, bonjour. Vous ne devriez pas être en train de réviser mes cours ? les taquina Jack.

- Ce sera pour une autre fois, répondit Jess, en ajoutant : que faîtes vous ici ?

Elle remarqua que son ton laissait transparaitre qu'elle était sur la défensive. Elle se reprit, plus doucement :

- Je veux dire, si ce n'est pas indiscret, cette affaire à un lien avec vous ?

- L'affaire non, l'avocate oui, répondit Al en désignant l'avocate en question. Mon collègue ci-présent est un grand fan de Kathleen Mallory.

Elle était grande, très séduisante. Ses yeux étaient tels qu'ils donnaient l'impression de pouvoir changer ceux qui les fixaient en statue de glace. Quel lien y avait-il entre les deux hommes et cette femme ? Jess imaginait mal Willis et Barnett venir assister au procès simplement pour reluquer une belle avocate. Encore que, les profs étaient humains après tout...

- N'allez pas imaginer quoi que ce soit, se justifia rapidement Jack. Kathleen Mallory a été un jour mon avocate et depuis, j'assiste à toutes ses prestations. Vous allez voir, elle est plutôt douée dans son genre.

Il du voir la douleur et la déception dans les yeux de ses élèves, car il demanda :

- Vous, vous avez un lien avec cette affaire n'est-ce pas ? C'est ce type qui a bléssé Lucie ?

Le silence des deux amies valait tous les aveux.

- Je vous demande de m'excuser, dit Jack, mal à l'aise.

- Il n'y a rien à excuser, répondit Lauren. Vous ne pouviez pas savoir.

Le professeur décida de ne plus rien dire. Barnett prit le relais.

- Est-ce que vous étiez sur les lieux quand cela s'est produit ?

- Nous allons devoir témoigner, acquicsa Jess.

- Alors vous préférez peut-être que nous n'assistions pas au procès, avança Jack.

Jessie était très touchée par sa proposition. Vraiment, elle appréciait ces deux professeurs, un peu marginaux et tellement proches de chacun de leurs élèves. Elle ne savait que répondre.

- Nous allons sortir, la devança Al. Si vous voulez nous parler après, nous serons à l'extérieur.

- Merci, murmurèrent Lauren et Jessie.

Les deux hommes quittèrent la salle silencieusement. Et l'audience démarra.

- Affaire numéro 654_B. La communauté de New York contre Miguel Vasquez, pour les charges de proxénétisme, meurtre et tentative de meurtre.

Avec une liste pareille, on aurait pu penser que Vasquez n'avait aucune chance. Mais en considérant le fonctionnement de la justice américaine, tout était réellement possible. Les premières minutes, Jess n'écouta que d'une oreille les propos des partis en opposition. Elle repensait à ce fameux "Médiateur", soit disant venu pour lui faire connaître la vérité. Qui était cet être ? Pourquoi était-il là ? Et qui l'avait envoyé ? Angel non plus n'avait pas de réponse. Elle avait tenté de sonder le Médiateur. Et s'était heurtée au néant. Elle n'y avait pas plongée, elle s'y était heurtée. Cette personne pensait, c'était indéniable, mais elle n'éprouvait pas, ou tout du moins, Angel ne pouvait le capter. Dans le tribunal, Kathleen Mallory venait de se lever et de saisir une feuille qu'elle parcouru rapidement de ses yeux verglacés avant de les poser sur Jessie.Cela lui fit froid dans le dos. Surtout quand elle réalisait ce qu'elle allait faire. Il y avait des hommes et des femmes payés pour que les meurtriers restent dehors. C'était effrayant.

- J'appelle à la barre mon premier témoin : Jessie Wells.

Etait-ce le hasard qui avait fait que Jess passe la première ? De toute façon c'était sans importance. Mais mieux, la salle étant concentrée sur elle, il lui serait plus simple de faire ce qu'elle devait faire. Si l'on pouvait qualifier cet acte de simple. La dernière phrase du Médiateur lui revint en tête : "Pensez à ce que vous vous apprétez à faire, demandez vous si cela est digne de vous." Il n'avait pu faire référence qu'à cette stratégie de manipulations des autres. Mais elle n'avait pas le choix.
En parfaite synchronisation avec Angel, elle libéra son esprit, le visualisa en tant qu'entité vivante, qui se mouvait dans la salle, fusionnait avec celui des personnes présentes et envahissait petit à petit leur être. Angel ne s'était jamais senti aussi mal. Elle avait le sentiment non pas de violer l'intimité de ces gens, car elle ne lisait pas leurs esprits, mais d'imposer sa conscience, tel un dictateur. Jess pouvait sentir le malaise de son hôte, et elle réalisait que le transfert de sa tête à celles des membres de l'assemblée se faisait avec une infinie douceur. Ce n'est que lorsque ce fut terminé que Kathleen Mallory se leva pour la questionner. Angel la regarda droit dans les yeux et se demanda si son petit tour de magie aurait de l'effet sur l'avocate. Elle avait rarement rencontré d'esprit aussi determiné. Elle posa la première question, fatidique :

- Jurez-vous de dire toute la vérité, rien que la vérité ?

Et avec le gout du mensonge, Jessie répondit :

- Je le jure.

*      *      *

            Depuis que le Médiateur s'y était manifestée, Jess ne se sentait pas à l'aise dans l'autobus. Elle était constamment sur ses gardes. Elle inspira à fond, tenta de se détendre et de faire le point sur cette première journée d'audience. Visiblement, elle avait réussi à modeler la vérité dans les esprits des personnes présentes. Mallory semblait avoir oublié l'erreur de procédure commise par les policiers. Autre point positif, d'après son empathie, le juge, nommé Douglas Vanbaugh, semblait ne pas être aussi neutre que la profession l'imposait. Il sympathisait à la cause de Jess. Et elle et Lauren n'avaient pas eu à expliquer pourquoi elles étaient sur place. Elles s'étaient contentées de dire ce qu'elles avaient vu sans que les membres de la cour aux esprits embrouillés posent de question : l'accusé tirant sur la victime. Tout ça était d'un froid qui laissait à Jess une sensation de mal être très nette. Et Angel se sentait salie d'avoir délaissée son éthique, même si c'était pour protéger Tania.
Le véhicule atteignit l'arrêt le plus proche du lycée. David y était, et monta. Jess était étonnée de le voir, mais en regardant sa montre, elle s'apperçut qu'il n'était pas très tard. Le jeune homme alla s'asseoir à côté d'elle.

- Bonsoir.

- Bonsoir.

Il alla droit au but :

- Je sais que toi et Lauren nous cachez quelque chose. Je ne vais pas te demander quoi. Je vais te demander pourquoi.

- Parce que je ne veux pas vous ouvrir les yeux, dit spontanément Jessie.

- Quoi ?

Ouvrir les yeux au monde, c'était ainsi qu'Angel désignait le fait de leur faire naitre chez les terriens une prise de conscience. Mais Jess avait réalisé qu'ouvrir les yeux, c'était ne plus pouvoir les refermer, et retrouver sa vie d'avant. Parce que lorsque l'on voyait, on ne pouvait plus ignorer.

- Je ne te dis pas tout parce que tu n'as pas besoin de savoir.

- C'est là que tu te trompes. J'ai besoin de savoir, comme Diana et Sebastien. Parce que Lucie est aussi mon amie. Parce que tu es mon amie. Et que tu as besoin d'aide. Il s'est passé quelque chose Jess. Avant que l'on blesse Lucie. Tu étais très bizarre. Tu as parlé à Lucie. Le lendemain, vous rendez dans un hôtel, et le maître des lieux tire sur elle. C'est tordu comme histoire tu sais.

Jess était tiraillée entre l'envie de tout lui dire et la peur qu'il ne la croit pas. Une autre crainte la bloquait également : celle d'entrainer un autre de ses amis dans son univers.

- En temps voulu tu comprendras pourquoi je ne t'ai pas dit ce qui se passer.

- Oui ? Et bien en attendant, je ne comprends pas. Et tu ne m'aides pas à comprendre.

Il ne dit plus rien jusqu'à son arrêt. Mais avant de descendre, il murmura :

- Si tu as besoin d'aide, tu sais que je suis là.

- Merci, lui répondit-elle de façon presque inaudible.

Il avait raison. Il serait toujours là pour elle. Et c'était pour cette raison qu'elle ne voulait pas le mettre en danger. Lorsqu'elle arriva chez elle, sa mère l'attendait sur le pas de la porte.

- Lisa m'a appelée, expliqua cette dernière, l'air peinée. Pourquoi ne m'as tu rien dit ?

- Parce que je n'y croyais pas moi même.

Et elle monta directement se coucher. Si elle trouvait le temps un jour, il lui faudrait remettre en cause la relation qu'elle avait avec ses parents. S'ils avaient tous trois encore une relation. Mais ce n'était pas le jour. Epuisée, moralement et physiquement, Jess s'endormit avant de toucher son lit.

 

*      *      *

        Deuxième jour. Pas tellement différent du premier. Sauf qu'elles n'avaient plus à témoigner. Le matin, Lauren était allée parler à Willis et Barnett, leur demandant de venir s'ils ne donnaient pas de cours. Avoir des adultes qui les connaissaient pour les soutenir ne serait pas du luxe. Pour l'instant ils n'étaient pas là. Et Mallory interrogeait Riker. Mais Angel percevait ses doutes. Elle se demandait si la barrière mentale forgé autour de l'esprit de l'avocate allait tenir, tant cet esprit était buté...

Kathleen ne savait plus par où attaquer. Pourtant, il devait bien y avoir une faille dans ce dossier. Elle relu les rapports et les témoignages de son client, quand l'évidence lui sauta aux yeux. Comment avait-elle pu passer à coté de quelque chose d'aussi énorme ? Il fallait qu'elle se ressaisisse, elle devait vraiment être fatiguée.

- Votre honneur, l'arrestation de mon client est anti-constitutionnelle.

Vanbaugh soupira intérieurement. Qu'est-ce que cette diablesse allait encore lui sortir ?

- On ne lui a pas lu ses droits.

L'avocate laissa sa phrase en suspension, savourant l'effet qu'elle produisait sur l'assemblée. Jess paniqua. L'esprit de Mallory était décidément très fort. Elle se concentra et tenta à nouveau de le modeler, ainsi que celui deVanbaugh. Ils se figèrent tous deux un instant.  Puis le juge lança un regard à Riker, qui hocha imperceptiblement la tête.

- L'audience est suspendue, annonça Vanbaugh tout en frappant de son maillet. Reprise demain à dix heures.

Mallory ne protesta pas devant cet évident signe de faiblesse.

- Maître, l'interpella Vanbaugh, je veux vous parler en privé quelques minutes.

 

*      *      *

            Mallory n'allait pas se laisser marcher sur les pieds.

- Vous tenez à voir toute la ville tournée en dérision ? Si Vasquez tombe, il en entrainera beaucoup dans sa chute. Il fait parti des grands pontes de New York.

Le juge Vanbaugh considéra la jeune femme, se demandant si elle avait une once de sens moral. Est-ce que tous les avocats étaient dénués d'éthique ? Est-ce qu'ils choisissaient cette profession parce qu'ils ne possédaient pas de code moral ou etait-ce le métier qui leur volait leurs âmes ?

- Cette ville est corrompue jusqu'à la moelle et tout le monde le sait. Je n'hésiterai pas.

- Mais vous ignorez que l'un des hauts fonctionnaires du poste de police savait que mon client était un proxénète. Et cet homme est un grand ami de la femme du maire. Alors, peut-être que même le maire était au courant. 

Elle posa ses mains sur le bureau et s'avança légrement. Son regard transperçait littéralement Vanbaugh.

- Il y a eu erreur de procédure. Aucun officier n'a procédé à la lecture des droits de mon client.

- A force de regarder la télé, tout le pays s'imagine qu'on lit leurs droits à tous les criminels. Mais ça ne se fait jamais. Vous croyez que je ne peux pas tricher aussi ? Riker prétendra lui avoir lu ses droits, et se sera sa parole contre celle d'un mac assassin !

- Je pourrais utiliser cette dernière phrase contre-vous au tribunal, fit Kathleen sans l'ombre d'un sourire.

- Ce qui est dit dans cette pièce est confidentiel. Si vous m'attaquez, sachez que j'ai de quoi riposter. Par ailleurs vous n'arriverez jamais à impliquer le maire dans cette affaire. Tout au plus, vous ferez tomber un flic véreux qui sera aussitôt remplacé par un autre.

- Riker n'est pas le meilleur des flic vous savez. Tous ses collègues connaissent son penchant pour la bouteille. Et l'une des victimes était son associée. Cette affaire le touche de près, et cela peut rendre son témoignage irrecevable.

- Qu'est-ce que vous voulez ? demanda Vanbaugh, excédé parce qu'elle avait raison.

- Je ne vais pas vous demander grand chose. [Une lueur passa dans ses yeux, une lueur d'humanité.] Je sais quel genre d'homme est Vasquez. Je sais ce qu'il a fait. Croyez-moi, je n'apprécie pas plus que vous de devoir relacher des assassins. Mais c'est mon boulot.

- Oui, les sacros-saints avocats, ils peuvent libérer le diable, bien planqués derrière la sempiternelle phrase "c'est mon boulot." Qu'est-ce que vous voulez ? répéta t-il.

- Remettez mon client en liberté sous caution le temps des audiences.

Il savait qu'il n'avait pas le choix, et elle le savait aussi. Mais elle ne sourit pas quand il lui donna son accord d'un signe de tête. Elle se contenta de le regarde, sans honte ni fierté. Mais Vanbaugh ne voulait pas terminer cet entretien sur une impression de défaite, voire de soumission. Il se leva pour se donner plus d'assurance devant Mallory.

- Vous et moi savons très bien que la justice n'existe pas dans cette ville, elle n'existe pas sur cette planète. Mais je ne laisserai pas cet homme s'en sortir.

- C'est une affaire personnelle on dirait.

- Vous avez tort. Je suis juge, et impartial, dit-il sans y croire lui-même. Maintenant sortez de mon  bureau. Je ne veux plus vous voir avant la suite des audiences demain matin.

Sans rajouter un mot, Mallory partit. Vanbaugh poussa un soupir de soulagement. Dès que cette femme était dans la pièce, la tension ambiante montait en flêche. Même s'il venait de marquer un point décisif, il savait très bien qu'elle contre-attaquerait. Pire, qu'elle avait raison. Vasquez avait des relations très hauts placées. S'il perdait ce procès, il lui suffirait de faire appel pour sortir de prison plus vite qu'il n'y été rentré. Kathleen Mallory était loin d'avoir joué sa dernière carte...
Dans le couloir, Mallory s'éloignait. Le claquement de ses talons sur le sol était le seul signe apparent de sa colère. Pour la première fois elle avait un adversaire à sa hauteur. Très bien. La partie n'en serait que plus intéressante.

 

*      *      *

        C'était le troisième jour du procès. Et le dernier. Les audiences s'étaient terminées tard hier soir, les deux parties avaient conclu leur plaidories et il ne restait qu'au jury à trancher. Le juge Vanbaugh avait remis l'accusé en liberté sous caution et la procèdure au lendemain matin, la nuit porte conseil, avait-il dit.
A neuf heures, les jurés s'étaient donc réunis pour déliberer. Cela faisait maintenant quatre-vingt dix minutes qu'ils parlaient entre eux, autour de cette grande table, et de leur décision dépendrait le sort de Vasquez. Cette décision était prise. Un à un, les douzes hommes et femmes votèrent à l'exception du premier juré. Il était un peu tendu à la perspective de prononcer le verdict tout à l'heure. C'était la première fois qu'il avait à le faire. Sur la forme, rien de compliqué : lire ce qui était inscrit sur le papier. Mais sur le fond... Ces quelques mots allaient changer des vies, et pas seulement celle de l'accusé. En cet instant, Mr Anthony Daniels, premier juré, était investi d'un pouvoir immense. Et il n'était pas certain d'apprécier.

- Mr Daniels ?

Il sortit de sa transe, et dit, comme les autres, peut-être d'une façon un peu précipitée :

- Coupable.

Le plus dur restait à faire, l'annoncer à la cour, au juge, aux victimes et au coupable. Même s'il avait fait son choix, cela lui semblait toujours une épreuve à surmonter. Bien sûr il ignorait qu'un évennement allait chambouler la fin de ce procès et qu'il serait délivré de cette responsabilité... L'huissier fit irruption dans la salle, sans frapper.

- Mesdames et messieurs, l'accusé a disparu dans la nuit. Les autorités estiment qu'il a déjà du quitter la ville, voire l'état malgré leur surveillance.

Des protestations et des cris de surprise s'élevèrent de la petite assemblée.

- Que faisons-nous ?

- Sans l'accusé, le procès n'a pas lieu d'être. Le délit de fuite est à ajouter à la liste, tout est à refaire. Néammoins, vous pouvez donner votre verdict au juge Vanbaugh. Le jury est dissous, mais sachez que nous referons appel à vous si nous retrouvons Miguel Vasquez. Du moins si vous le souhaitez.

Ils acquiescèrent et l'huissier partit en quête du juge. Daniels était un peu soulagé, comme si l'on avait enlevé un poids de ses épaules, et déçu, effrayé même. D'abord parce qu'il y avait un assassin de plus dans la nature, ensuite parce que pour l'entourage des victimes, ce procès avait été une épreuve infiniment douloureuse, mais nécéssaire pour faire leur deuil, et qu'elle restait sans issue, laissant leurs plaies émotionelles ouvertes. Anthony s'en voulut d'avoir éprouvé du soulagement. Mais il n'était qu'un humain, personne n'était parfait. Afin de se pardonner, il prit la décision d'aller lui-même annoncer la nouvelle à ces jeunes personnes venues témoigner. Il arpenta les couloirs du palais de justice, l'estomac noué. Enfin il les vit. Les deux filles, entourées par un homme de taille moyenne et un autre plus jeune.

- Je suis désolé, commença t'il en s'approchant du petit groupe.

Entrée en matière plutôt désatreuse. Mais après tout, dire les choses plus doucement n'attenuerait en rien le coté douloureux de la vérité.

- Qu'est-ce qui se passe ? demanda en se levant précipitemment la fille qui d'après ses souvenirs, s'appellait Jessie.

- Miguel Vasquez a disparu, lacha t-il.

Anthony Daniels se sentit aussi malheureux qu'elle en lui disant ces mots. Ce n'était pas facile d'être l'annonciateur des mauvaises nouvelles et il s'en serait bien passé. Mais il avait le sentiment de devoir quelque chose à ces personnes.

- Vous étiez dans le jury, remarqua le plus agé des deux hommes. Vous aviez décidé d'un verdict ?

- Coupable, leur révela t-il. Si on le retrouve, il sera de nouveau jugé. Mais vous n'aurez pas à venir témoigner je pense.

- C'est terminé, annonça l'un des hommes aux deux jeunes filles.

Daniels était vraiment déçu pour eux tous. Il ne leur dit pas. Il ne se sentait pas à sa place ici. Il était membre du jury, travaillait pour cette "justice" qui laissait les assassins dans les rues. Il les laissa seuls.

- Ce n'est pas juste, dit Jess. A cause de lui, des dizaines de personnes ont vues leurs vies gachées à jamais. A cause de lui, Lucie va peut-être mourir. Et il s'en sort sans même en avoir payé une partie. Ce n'est pas juste.

- Rien n'est juste Jessie, répondit Jack, ce qui lui valut un regard interrogateur de son interlocutrice.

Al devellopa le propos de son ami.

- Je veux dire, tu crois que nos lois sont justes ? Il n'existe pas de justice américaine. Pas de justice tout court. En ce moment, un enfant vient au monde. En Floride, dans une famille aisée, où il sera peut-être heureux. Et maintenant, un second nait. En éthiopie, et il sera probablement mort de faim dans quelques jours. Voilà. Ils appartiennent à ce monde depuis un instant, et déjà la vie ne leur offre pas les mêmes chances. Ce n'est pas juste. Mais Lucie ne mourra pas.

Angel sentait la determination et la certitude émaner du professeur. Il ne disait pas ça pour les rassurer. Il le pensait.

- Comment pouvez-vous en être aussi sûre ? demanda Jessie.

- Le monde n'est pas juste, mais Lucie, elle, l'est. Et elle ne vous laissera pas.

 

*      *      *

           "Le monde n'est pas juste". La phrase se répétait dans l'esprit d'Alphonse Barnett alors qu'il faisait mettait les pâtes dans l'eau bouillante. Le monde n'est pas juste. Il ne l'avait jamais été. Ou bien était-ce les gens qui n'étaient pas justes ? Lui même pouvait-il se targuer d'être un homme juste ?

- A quoi tu penses ? lui demanda Jack.

Ils avaient décidés de passer la soirée ensemble. Après cette journée, ils avaient tous deux besoin de la présence d'un ami. Jack se tenait debout dans l'embrasure de la porte, Georges dans ses bras. Que le petit garçon ne puisse vivre avec sa mère parce qu'elle était toxico, ce n'était pas juste. Pourtant, il avait un oncle qui l'élevait et l'aimait comme un fils. Il avait donc plus de chances que beaucoup, moins que certains.

- Je pense que le monde n'est pas juste.

- Mais tu le savais déjà avant non ?

Bonne question, à laquelle Al avait du mal à répondre. Certes, c'était lui qui avait fait remarquer à Jessie que rien n'était équitable. Mais venait-il seulement de s'en rendre compte ? Est-ce qu'il avait fallu qu'une de ses élèves et amies soient grievement bléssée pour qu'il ouvre les yeux et réalise que la Terre ne tournait pas vraiment rond ?

- Qui sait ?

- Moi je sais, lui dit Jack. Et je sais que toi, tu es quelqu'un de juste. Même si tu en doutes.

Al sourit. C'était agréable, rassurant d'avoir quelqu'un qui vous connaisse aussi bien. Cela vous prouvait que vous existiez.

- Merci.

- Pas de quoi. Tu vas mettre encore longtemps à faire la cuisine ?

- Si tu veux le faire, surtout ne te gène pas.

- Tu penses bien que je ne t'enleverai pas ce plaisir, sourit Jack avant de repartir dans la pièce voisine.

Lui aussi se posait des questions. Il se demandait principalement comme réagir avec ses élèves. Et devait-il se contenter de les couvrir pour leur abscence, ou devait-il prévenir les autres professeurs ? Non, d'après ce qu'il avait put comprendre, Jess ne souhaitait pas ébruiter l'histoire. S'il avait été croyant, il aurait prié pour que Lucie s'en sorte. Lui ne l'avait jamais eu comme élève, mais Al lui avait parlé d'elle.

- Tu n'imagines pas l'oeil qu'elle a sur la littérature, sur le monde en général. C'est la première élève que j'ai qui sache vraiment lire entre les lignes, que ce soient celles d'un roman ou d'un discours de politicien.

Al, comme lui-même, aimait son métier. Enseigner, c'était toute sa vie. Mais ce travail impliquait des responsabilités : forger les jeunes esprits, cela exigeait prudence et attention. Et Jack n'était pas certain d'être à la hauteur. Il repensa aussi à Kathleen Mallory, et à l'espèce de culte qu'il lui vouait depuis qu'elle l'avait aidé. Ces derniers jours, il l'avait vu se battre pour un meurtrier. Etait-elle complice ou mauvaise pour autant ? La seule chose dont il était sûre, c'est qu'il ne verrait plus la jeune femme comme avant. Et il cesserait d'assister à toutes ses plaidoiries. Il ne voulait plus remmettre les pieds dans un tribunal avant longtemps. Avant d'oublier toute cette histoire. Mais il savait qu'il n'oublierai pas. Bon sang, Al avait raison. Le monde n'était pas juste.

 

*      *      *

        Jess s'avança à l'accueil et demanda d'une voix nouée par l'émotion et la peur des nouvelles de Lucie Anderson. L'homme derrière le comptoir pianota quelques instants sur un ordinateur, avant de lui dire que son état était instable, de lui confirmer qu'elle n'avait pas repris conscience et de lui communiquer le numéro de la nouvelle chambre.

- Chambre 101, en soins intensifs. A l'étage inférieur.

Jessie se tourna vers Lauren, sans avoir réalisé ce que le réceptionniste venait de lui dire.

- 101, répéta t-elle d'une voix éteinte.

Lauren prit le bras de Jess et la mena vers l'ascenseur le plus proche. Une voix derrière elle la fit s'arrêter.

- Lauren...

Elle se retourna. C'était Diana. Et Sébastien, et David. Les cinq amis s'enlaçèrent quelques secondes et prirent l'ascenseur. Tandis que la cabine descendait doucement, David songeait à la disposition particulière de l'hopital. Deux niveaux au dessus du sol, deux au dessous. Au rez de chaussé, l'accueil et les salles d'opération. Au dessus, les chambres, pour les convalescents et les cas bénins. Au dessous, les soins intensifs. Et encore plus bas, c'était la morgue. Symbolisme involontaire qui faisait que les plus hauts étaient les plus vivants, et que s'enfoncer dans le sol équivalait à se rapprocher de la mort. David aurait aimé être d'un optimisme semblable à celui de Lauren. Il aurait voulut ne pas être réaliste, rationel. Etre Mulder plutôt que Scully. Parce que c'était sans doute plus facile de penser que les choses allaient s'arranger, que Lucie allait se réveiller et passer aux étages supérieurs, plutôt que de réaliser qu'elle pouvait s'enfoncer dans son coma, s'y enfoncer à tel point qu'elle passerait à travers le lit et le sol pour atteindre le niveau inférieur. Le monde des morts. Il ne voulait pas y songer, chasser l'idée de sa tête, pourtant cette pensée le harcelait. La vérité, cela avait toujours eu de l'importance pour lui. Mais il y a des vérités qu'on ne préfère pas connaître... Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent. Alors Diana murmura :

- Nous avons le droit de savoir ce qui s'est passé, n'est-ce pas ? Nous, nous avons le droit de connaître la vérité.

Jessie acquiecsa. Oui, eux avaient le droit de savoir. Mais quel était le prix de la vérité ?

 

*      *      *

        Ils étaient tous réunis dans la chambre de Lucie, bien que le réglement de l'hopital interdisait qu'autant de visiteurs soient ensemble dans une salle de soin intensifs. Jess et Lauren racontaient, prenant la parole à tour de rôle devant leur auditoire muet. Diana, Sebastien et David les écoutaient avec une attention très particulière, et aucun ne semblait surpris ou choqué. Pourtant, les deux filles racontaient la vérité, ni plus ni moins. Rien que la vérité. Celle qu'elles n'avaient pu dévoiler lors du procès. Celle qu'elles avaient dites à Riker. Mais c'était la dernière fois que Jess racontait son histoire. Elle se le promit, et le promit à Angel. Il ne fallait pas mettre d'autres personnes dans la confidence. Il y en avait déjà trop, trop de gens qui allaient ouvrir les yeux sur le monde, et regretter leur aveuglement.
Lorsque Jessie leur avait parlé d'un être vivant dans sa tête, personne ne l'avait interrompu, personne n'avait levé la main pour l'arrêter et lui dire "Jess, c'est impossible", "ça n'existe pas" ou encore le si redouté "tu es folle." Elle ne leur avait pas fait de démonstration de ses nouveaux dons. Elle était bien trop épuisée psychiquement pour ça. Mais de toute façon, cela n'avait pas été nécessaire, ils semblaient la croire. Elle poursuivait donc, étonnée par la non-réaction de ses amis.

- Nous nous sommes alors rendu à cet hôtel. Nous avons retrouvé Tania, et elle nous a dit ce que Vasquez faisait. Ensuite celui-ci nous a surprise, et il a sortit un revolver.

Sentant que Jess ne pouvait continuer, Lauren poursuivit, les larmes aux yeux.

- Il a tiré sur Jessie. Lucie s'est mis devant pour la protéger. Il y a eu une détonation terrible et puis... Tania a desarmé Vasquez et l'a assomé. Elle a appelé une ambulance, puis la police. Et nous sommes parties pour l'hopital.

Angel ressentait que tous croyaient en sa présence. Par quel miracle ces trois jeunes gens n'avaient besoin de preuve, elle n'en avait pas la moindre idée. Mais le fait était qu'ils étaient persuadés que Jessie et Lauren leur disait la vérité. Du moins au premier abord... Une étrange sensation de doute envahit Angel. La chose se précisa et le doute se transforma en quasi-certitude : l'un des amis de Jess et Lauren les croyaient folles ou sous le choc. Son esprit refusait d'admettre l'existence des Daerens. Mais Angel était incapable de dire qui éprouvait ce sentiment. Quand à Jess, elle n'en était même pas consciente. Elle tenait la main de Lucie dans la sienne. Plus personne ne parlait. Le silence devint pesant, il les étouffait progressivement. Les seuls sons audibles étaient ceux émis par le monitoring et l'assistant respiratoire. Des sons non-humains à la répercution terrifiante. David posa finalement la question qui leur brulait les lèvres.

- Et maintenant ?

- C'est là le problème, répondirent ensemble Angel et Jessie. Car nous l'ignorons.

De nouveau, le silence avait repris possession des lieux. Tous regardaient Lucie, immobile, se demandant si elle percevait ce qu'ils ne disaient pas du fond de ses ténèbres. Eux mêmes étaient dans le noir, car comme l'avait prouvé la dernière déclaration d'Angel et Jessie, même les anges ne savaient pas ce que serait demain.

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fin de l'épisode 1_01
suite dans 1_02 : Phases

 

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