Rien que la vérité

épisode 1_01

idée et rédaction de Jade

 

        Elle n'avait jamais eu peur du noir. Malgré la semi-obscurité dans laquelle elle était plongée, Lucie savait où elle était. Elle humait un parfum d'antibiotiques et entendait des voix au-dessus d'elle qui posaient des questions et criaient des ordres effrénés.

- Vous nous entendez ? Vous pouvez nous dire votre nom ?

Lucie voulait leur répondre. Elle ouvrit la bouche et sentit un liquide épais couler des commissures de ses lèvres. Du sang. La souffrance dévorait tout son être. Elle entendit une faible plainte, et s'apperçut que c'était la sienne. Elle avait si mal... si seulement tout pouvait s'arrêter. Et où étaient les autres ? Elles étaient avec elle il y a quelques minutes quand elle avait été touchée. Elle était parfaitement lucide, mais rester consciente était de plus en plus difficile. La douleur dépassa le stade du supportable. Cette fois tout disparut. Lucie perdit connaissance. Sa dernière pensée fut pour Jess. Pourvu qu'elle aille bien.

  "Le chaos, c'est quand vous croyez que tout va bien, et que tout bascule d'un seul coup."

La salle des urgences du New York Hospital était une parfaite illustration du chaos. De la rue, vous franchissiez les portes, et à l'intérieur, tout n'était que confusion. Confusion des sens. Vos yeux avaient du mal à suivre le mouvement incessants des médecins, votre nez captait l'odeur de sang et un gout de mort envahissait votre bouche. Mais le pire restait le bruit : les cris, les gémissements des victimes, les machines, les portes qui claquaient, les aides-soignants qui hurlaient à tout va leur vocabulaire médical incompréhensible du commun des mortels, peut-être pour dire inconsciemment "nous savons ce que nous faisons, ne vous inquietez pas". Ce bruit était insuportable.

Assis sur un siège délabré, un homme compressait une plaie au visage qui saigne abondamment. Personne ne s'occupait de lui. Etendue sur un brancard, le long du couloir, une jeune fille gémissait, bousculée par les allées et venues du personel et des patients. Elle aussi était toute seule. Des dizaines de gens dans le hall, plus ou moins gravements bléssés et malades, attendaient qu'enfin un médecin soit libre pour pouvoir les soigner. Il doit y en avoir un pour des dizaines de patients. Combien d'entre-eux allaient mourir ? Jessie ne le savait pas.

Elle était assise avec Lauren et Tania depuis une durée inderterminée. Et pour cause, elle avait perdu toute notion du temps. Miguel Vasquez avait-il tiré sur Lucie il y a une heure ? Une journée ? Jess ne se rappelait pas. Elle aurait voulu oublier toute la scène, mais celle-ci repassait en boucle dans son esprit. Le revolver. La détonation. Et Lucie, bléssée, dans ses bras. Ensuite venait l'ambulance, et le trou noir. Elle s'était évanouie. Juste quelques secondes. Lauren l'avait relevée, et elles étaient parties. Maintenant elles attendaient. Jess avait l'impression de faire un cauchemard, ou de regarder un film. Comme si elle n'était que spectatrice de sa vie, et qu'elle ne la vivait pas. Pourtant...

- Tu veux quelque chose à boire ? lui demanda Lauren.

Jess secoua négativement la tête. Lauren reposa la question à Tania Sanders, la jeune femme que Lucie avait voulu protéger en se rendant à l'Overlook. Elle venait de les rejoindre. Tania se sentait coupable, Jess le savait. Comme Angel. Angel. Le point de départ du chaos. Toutes ces pensées incohérentes dansaient dans la tête de Jessie Wells.

- Je suis désolée.

Jess ne voulait pas répondre à Angel. Elle était consciente que sa colère envers elle était injuste. Mais elle ne pouvait s'en empêcher pour autant. Plus tard elle ferait ses excuses à la jeune Daeren. Pour l'instant, elle avait besoin d'en vouloir à quelqu'un. Sa meilleure amie, sa soeur, venait d'être gravement bléssée. Peut-être qu'elle ne franchirait jamais ces portes dans l'autre sens, que seul un médecin le ferait pour venir lui annoncer la mauvaise nouvelle.

- Vous êtes de la famille de Lucie Anderson ?

Jess sursauta. Elle n'avait pas vu les deux hommes en blouse blanche arriver.

- Oui, mentit-elle.

Si cet homme le demandait, cétait sans doute parce qu'il ne pouvait parler qu'à la famille.

- Vous savez si elle est assurée ? demanda l'autre.

Son collègue le fusilla du regard et lui fit signe de partir. Dure réalité que de voir que l'argent passait avant les soins. Lauren avait entendu tout à l'heure une femme à l'accueil demander une carte d'assurance maladie avant de faire admettre un bléssé grave. Le mot soin n'avait plus aucun sens ici.

- Votre soeur est dans un état critique. Un de ses reins a été touché, il y a eu des hémorragies très importantes. Pour l'instant son état n'est pas stabilisé. Il faut attendre.

Il n'avait pas plus de tact que l'autre médecin finalement.

- On peut la voir ? demanda Jess.

- Non, pas pour le moment. Elle est encore en salle d'opération. Vous devriez rentrer vous reposez, et prévenir le reste de la famille.

"Le reste de la famille". Elle n'y avait même pas pensé. Comment annoncer à Lisa, David et tous les autres la vérité alors qu'elle n'arrivait pas y croire, elle qui l'avait vu ?

- Nous sommes obligés de déclarer tout bléssé par balle aux autorités.

- Nous avons déjà prévenu la police, répondit Tania avant d'entraîner les deux lycéenes vers la sortie.

 

*      *      *

          L'inspecteur Andrew Riker était sur le seuil de la chambre 114 de l'Overlook, balayant de son regard toute la petite pièce. Les évennements s'étaient précipités. Il y avait à peine quelques heures, il avait découvert que c'était dans cet hotêl que sa collègue et amie Holly Stewart s'était rendue le soir de sa mort. Il avait décidé d'attendre que sa suspension se termine pour s'y rendre. Et voilà qu'il recevait deux appels. Un lui étant adréssé personnellement; d'une femme refusant de donner son nom, disant que l'assassin du lieutenant Stewart l'attendait chambre 114 de l'Overlook. Puis un appel de l'hopital disant qu'une jeune femme avait été bléssée par balle dans cette même pièce. Il avait le nom de la victime, Anderson. Il serait facile de savoir qui était avec elle et qui avait appelé. Les collègues d'Andy avaient embarqués le dénommé Miguel Vasquez il y avait de cela quelques minutes. Il l'avait regardé reprendre ses esprits, écarquiller les yeux de surprise à la vue des policiers et chercher son arme. Il s'était retenu de le frapper. Maintenant il observait méticuleusement la scène du crime avant de se décider à entrer.
Un lit une personne cotoyait une armoire en chêne massif. Ormis ces deux meubles et un radiateur, la pièce était pratiquement vide. Une grande tache de sang  témoignait de la violence qui avait été déchainée ici. Andy rentra, se courba et porta ses doigts à la mare de sang. Il n'était pas tout à fait sec. Il pensa à Holly et eut comme un vertige. Est-ce qu' il se remettrait jamais de la mort de son associée ?

- Inspecteur ?

C'était le lieutenant Tom Wolfe. Il se tenit dans l'embrasure de la porte et jetait à son supérieur un regard pressant.

- Quoi ? lui demanda Riker d'un ton sec.

- Les autres ont déjà examiné la pièce.

- Je sais.

- Nous avons les empreintes de ce type sur le revolver, mais rien ne prouve qu'il a tué quelqu'un. Il faut comparer le sang avec celui de la victime, ainsi que la balle. Si nous n'avons pas de preuves tangibles qu'il a commis un acte criminel, nous ne pouvons le garder.

Ce jeunôt avait-il la prétention de lui apprendre son métier ? Andy lui aurait volontier collé son poing dans la figure. Mais il savait que Wolfe ne le méritait pas. Il n'appréciait pas vraiment le coté macho du jeune homme, mais de là à le frapper... Il était excédé par ce qui lui arrivait et avait juste besoin de se défouler sur quelqu'un.

- D'accord, dit-il à son collègue en s'éfforçant de rester calme. Je vais me rendre à l'hopital. Toi essaie de repérer d'où provenait le coup de fil que j'ai reçu tout à l'heure.

Wolfe acquiecsa et partit. Andrew resta encore quelques instants, agenouillé dans le sang. Des larmes se mélèrent à la flaque écarlate. Andy se leva, essuya son visage d'un revers de main. Dans la rue, il héla un taxi pour aller au centre hospitalier. Il avait soif, mais pas d'eau. Dieu qu'il aurait eut besoin d'un verre ! Mais il réussissait depuis des années à ne pas boire en service, jamais. Le taxi démarra. Andy jeta un dernier regard à l'hotel, et un frisson de pure terreur le parcouru. 

 

*      *      *

        - Qu'est-ce que nous allons faire ? murmurra Jessie.

Elles étaient toutes les trois, toutes les quatre, dans la rue, assises sur un banc public à quelques mètres de l'hopital. Tania avait l'impression d'être arrivée dans une impasse. Jusqu'ici, elle avait su réagir : elle avait passé un coup de fil anonyme à Riker. Holly lui avait un jour donné son numéro en disant qu'en cas de problème, Riker saurait quoi faire. Elle avait attendu devant l'hôtel pour s'assurer que Vasquez était bien arrêté, puis elle avait rejoint Lauren et Jessie dans la salle d'attente de l'hopital. Mais à présent, elle ne savait pas quelle conduite adopter. Le plus raisonnable aurait été de quitter la ville, pour éviter de finir derrière les barreaux. Riker ne mettrait pas longtemps à la retrouver et elle finirait en cellule pour prostitution et complicité du traffic de son patron. Mais elle ne voulait pas laisser les deux jeunes filles toute seules face à cette situation.

- Tu n'es pas obligé de rester, lui dit Jessie.

Tania comprit que c'était Angel qui parlait. Elle savait très bien la différencier de Jessie. Elle la connaissait et l'aidait depuis longtemps maintenant. En temps ordinaire, elle lui aurait confié Jess et Lauren sans hésiter. Angel portait bien son nom : c'était un véritable ange, gentille, attentionée, ouverte. D'ailleurs les Daerens avaient été surnommés "anges" par certains de leurs hôtes. Mais pour l'instant, Angel était amnésique. Tania lui faisait entièrement confiance bien sûr, mais elle ne voulait pas la laisser. Elle aussi avait besoin d'aide, et si elle avait bien compris, cette Lucie à l'hopital, elle restait le seul lien de la jeune Daeren avec son passé.

- Je ne vais pas vous laisser. Il faut que nous mettions au point une sorte de plan d'action.

Jess avait la désagréable impression d'avoir atteri dans une série d'espionnage de mauvaise qualité. Un plan d'action ? Lucie était dans un état critique, pour reprendre les paroles du médecin. Comment quelque chose d'autre pouvait-il avoir de l'importance ?

- Je ne comprends pas, dit-elle à voix haute.

- Vasquez a été arrêté, expliqua Tania. Les flics ont suffisament de preuves pour l'inculper, ce qui signifie qu'il va être jugé.

- En quoi cela nous concerne t-il ? Personne ne savait que nous étions là.

Tania déglutit.

- Il y a des caméras de surveillances dans le hall de l'hotel. Je comptais voler la cassette pour que Vasquez ne sache pas que je vous avais parlé, mais avec tout ce qui s'est passé, je n'en ai eu ni l'occasion, ni le souci.

Jessie se prit la tête dans les mains, abbatue. Lauren lui posa les mains sur les épaules en signe de soutien.

- Nous allons trouver une solution. Prendre en main le problème nous liberera de quelques tensions.

- Tu as raison, admit Jess. Qu'est-ce que nous allons faire ? demanda t-elle pour la seconde fois.

- Il faut que nous nous mettions d'accord sur ce que nous allons dire à la police, commença Tania. Qu'est-ce que vous faisiez là, pourquoi étiez vous venue me parler... En sachant que Vasquez sait pas mal de choses.

Elles se mirent à réfléchir en silence, jusqu'à l'arrivée d'un homme à l'imperméable usé, aux cheveux en bataille et au regard triste. Jess n'eut aucun mal à reconnaître l'inspecteur Andrew Riker.

- Je sais que le coeur n'y est pas, mais je peux vous poser quelques questions ?

Angel le "sonda" instinctivement. Elle ouvrit son esprit et laissa les sensations de l'inspecteur y pénétrer. Pensées et sentiments tournoyèrent quelques instants dans sa tête avant de former quelque chose de cohérent. C'était clair. Il n'était pas vraiment là pour les interroger. Implicitement, ce qu'il voulait demander était "est-ce que je peux vous aider ?". Pour la première fois depuis l'accident, Angel sourit. C'était un faible sourire, les circonstances ne prêtaient pas à une joie démonstrative. Mais il semblait bien qu'elle avait un allié. Et puisque que Riker lui tendait la perche...

- Il faut que vous nous aidiez, dit-elle.

- Vous êtes l'amie d'Holly n'est-ce pas ? se rappela Andy. C'est vous qui vouliez la voir hier, avec votre... C'est elle qui a été bléssée ?

Jess hocha la tête, ne voulant pas s'entendre répondre oui.

- C'est votre soeur ?

- D'une certaine façon.

Andrew décida de changer de sujet rapidement.

- Et si vous me disiez pourquoi vous vous êtes rendue dans cet hôtel ? Je sais qu'Holly y était le soir où on l'a tué. Et je ne crois pas aux coïncidences.

Lauren lança un regard interrogateur à Tania puis Jess. Elles acquiescèrent.

- Vous serez capables de faire le tri entre ce qu'il faut garder pour vous et ce que la police doit savoir ?

Riker assura que oui, et Lauren vu tant de détermination dans son regard qu'elle n'eut aucun doute. Cette histoire le concernait personnellement. Son amie et collègue était morte, et il n'hésiterai pas à faire tomber l'assassin par tous les moyens possibles.

-Vous avez raison, tout cela est lié. Nous y sommes allées pour Tania.

Elle designa son amie d'un signe de tête avant de poursuivre.

- Tania Sanders... travaillait pour Vasquez, l'homme qui a tiré sur Lucie... et tué Holly. Mais Tania travaillait aussi pour Holly.

- J'étais son contact avec l'intérieur du réseau, continua Tania, prenant la relève. Je lui fournissais des informations, des preuves... Je pense lui avoir donné assez de cliché pour que Vasquez finissent en taule. Mais seulement pour proxénétisme, or ce type n'est pas n'importe qui. Il a des relations. Holly voulait des preuves pour le traffic humain. Elle voulait faire tomber cette ordure de façon définitive

Andrew comprenait parfaitement. Mais pourquoi Holly ne lui avait pas demandé son aide sur cette affaire ? Et en quoi deux gamines y étaient mélées ?

- Il a certains points qui restent très obscurs, vous le reconnaitrez.

Jessie réfléchit. Elle ne devait pas mordre la main qu'on lui tendait. Avoir Riker de son coté serait un excellent soutien pour sa "mission". Elle n'aurait jamais assez d'aide. Et elle savait instinctivement que cet homme était quelqu'un de bien. Angel le confirmait. Il avait été le meilleur ami de son ancien hôte. Au fur et à mesure qu'Andy parlait, des souvenirs le concernant revenaient à la mémoire de la Daeren. En même temps, si elle avait confiance en Riker, pourquoi Holly ne lui avait-elle rien dit à propos de son hôte ? La réponse apparut, et elle encaissa la révélation comme un coup de poing dans la figure. Holly n'avait rien dit à Riker pour le protéger. Entrer dans le monde d'Angel était dangereux. C'était se confronter à une réalité que la plupart des gens essayaient d'ignorer, cotoyer le pire. Jess confirma ce qu'elle pensait. Elle ne connaissait vraiment Angel que depuis hier, et déjà Lucie était bléssée. Cette pensée blessa Angel, mais Jess ne l'avait pas voulue. Sa rancoeur envers sa nouvelle amie avait disparu. Jess était parfaitement consciente qu'Angel allait quotidiennement en enfer parce que c'était un ange.

- Ce qui est arrivée n'est pas ta faute, murmura t-elle en son esprit.

- Mais ça ne change rien.

- Qu'est-ce qu'on fait pour Riker ?

- A toi de choisir.

Angel ne la laissait pas prendre la décision par lacheté, mais parce qu'elle estimait que c'était à Jess de choisir à qui elle voulait dévoiler la vérité. Elle lui prenait déjà son corps, son temps, sa vie. Elle pouvait la laisser choisir ses amis. Elle lui devait bien ça.

- Inspecteur Riker ?

- Andy, corrigea Andy comme il l'avait fait lors de sa rencontre avec Holly.

- Anduy, reprit Jess. Je pense que nous allons vous dire la vérité. Et que vous pourrez nous aider.

 

*      *      *

        Elles étaient devant la porte de l'immeuble, incertaines. Ne sachant comment aborder la chose. Lauren, Jess et Angel avaient quitté Riker depuis maintenant une bonne heure. Elles lui avaient tout dit, et sut immédiatement qu'elles avaient fait le bon choix. Elles avaient maintenant un allié de premier ordre, et ce n'était pas vraiment un luxe. Mais maintenant, elles étaients plantées devant l'entrée et aucune n'osait appuyait sur l'interphone. Parce que ce simple geste signifait entrer dans l'appartement de Lisa pour lui dire que sa fille adoptive était hospitalisée dans un état grave. Pourtant il fallait le faire. Et ce fut Angel qui s'en chargea. La voix mélodieuse de Lisa se fit entendre, nullement déformée par l'appareil.

- Chez Lisa Phillips, patronne du centre d'accueil du cinquième étage, que puis-je pour vous ?

Elle plaisantait, comme toujours, sur le fait que les amis de David squattaient souvent l'appartement, mais c'était de l'auto-dérision. En réalité, c'était elle qui invitait les jeunes à venir chez elle. C'était la femme la plus accueillante du monde.

- C'est Lauren et moi, fit Jess d'un ton troublé. Il faut qu'on te dise quelque chose.

Ces quelques mots devaient trahir la gravité de la situation car Lisa fit ouvrir la porte sans ajouter un mot, ce qui n'était pas dans ses habitudes. Jess entra, Lauren sur ses talons et elles gravirent les marches, tentant toujours de trouver la façon la moins brutale d'annoncer la nouvelle. Lisa les attendait sur le seuil de son appartement, une légère expression d'inquiétude sur son visage.

- Alors les filles, qu'est-ce qui se passe ?  

- Assieds toi s'il te plait, lui demanda Jessie.

Lisa obtempéra, et son inquiétude se changea en angoisse.

- David n'est pas là ?

- Il est sorti avec les autres. Jess, qu'est-ce qui se passe.

- C'est Lucie, lacha la jeune fille. Elle a... elle a été agréssée.

Le coeur de Lisa cessa de battre une seconde.

- Elle est...

- Non, mais à l'hopital, répondit Lauren. Les médecins ne peuvent pas encore se prononcer...

La mère de David accusa le choc et ne dit rien durant quelques instants. Puis :

- Vous allez bien ?

Jess hocha la tête, mais des larmes perlaient dans ses yeux. Lisa se leva et la prit dans ses bras et l'etreignit brievement. Elle fit de même avec Lauren. Elle ne demanda pas ce qui s'était passé, ne murmura pas de paroles rassurantes. Elle se contenta d'être là, pour ces deux jeunes filles qui avaient besoin de soutien. Et elle, qui lui apporterait son soutien ?

 

*     *      *

            Si dans la réalité deux heures et demie s'étaient écoulées,  David avait l'impression d'avoir passé une éternité dans cette salle obscure. Ce film était réellement un navet. Non content de pomper les trois quarts de son scénario sur Sliders et Highlander, il était effroyablement ennuyeux.

- Pourquoi est-on allé voir The One ? demanda t-il.

- Parce qu'un film de SF avec Jet Li, c'était tentant, répondit Seb, fan des arts martiaux et de la culture asiatique. Et pour cause, il en était imprégné depuis son plus jeune âge.

- Ton Jet Li devrait arrêter de faire des films chez nous, ça ne lui réussit pas.

- Ca c'est vrai. Les occidentaux en général, et les américains en particulier ont en sens de l'art assez spécial.

Diana soupira. Aller voir un film avec ces deux-là revenait à se trouver au milieu d'un champ de bataille. Ils avaient des gouts plutôts opposés et se livraient à la guerre des cinéphiles quand le générique de fin s'était écoulé. Et elle se retrouvait dans le rôle de l'ONU :

- David, reconnait que Jet Li est super... dans ses autres films, comme le Baiser du Dragon. Seb, tu peux admettre que certains réalisateurs americains ont fait de très bons film, comme Tim Burton ou Frank Capra.

- Capra est d'origine italienne, contrecarra Sebastien.

- Et le Baiser du Dragon, c'était nul aussi, surenchérit David.

- Et vous êtes tous les deux d'une mauvaise foi inégalable, conclut Diana en souriant malgré tout. Alors que fait-on ?

- On peut passer chez moi, proposa son ami. Ma mère sera ravie, ça fait bien... deux heures qu'elle n'a pas eut du monde à la maison, fit il sarcastiquement.

On ne pouvait nier que son appart était un véritable moulin, d'où les gens entraient et sortaient presque sans interruption. Même s'il râlait parfois contre cette situation, David appréciait de vivre dans un endroit aussi accueillant. Simplement, il aurait aimé avoir de temps en temps un week-end tranquille, seul avec sa mère et Lucie, les semaines où elle habitait là. 

- O.K., allons chez toi. Je ne manquerai jamais une occasion de manger les cookies de Lisa.

Tout comme David adorait la cuisine de Ling, la mère de Sebastien, Sebastien aurait vendu son âme pour les plats de Lisa. Ils échangeaint souvent leurs repas respectifs les jours où ils ne mangeaient pas à la cantine.

- Avez vous d'autres passions que la nourriture et les débats polémiques sur Jet Li ? les taquina leur amie.

- Tout à fait mademoiselle.

- Par exemple ?

- La nourriture que mange Jet Li.    

Ils continuèrent de plaisanter et de s'envoyer des piques jusqu'à la porte d'entrée du cinq-pièces de la famille Phillips. Parce qu'une fois entré à l'intérieur, les rires se brisaient. Une odeur de cookies brulés flottait dans l'air, l'odeur du drame. Il y avait dans toute la demeure une tonalité, une impression de tristesse qui était presque palpable. Et surtout, les yeux de Lisa brillaient, non de la joie quotidienne dont elle était habitée, mais des larmes qui y perlaient. La dernière fois que David avait vu pleurer sa mère, c'était lors du décès de la famille de Lucie. Il pensait qu'il n'assisterait plus à ce désolant spectacle. Ce jour-là, Lisa s'était vidée de toute l'eau de son corps, du moins le pensait-il, car elle n'avait plus versé une larme dès le lendemain. Pourtant, sa mère était bien là devant lui, avec dans le regard cette lumière qui reflète la douleur. Il n'avait pas envie de poser la question, mais c'était inéluctable :

- Qu'est-ce qui se passe ?

 

*      *      *

 

        Andy avait emmené Tania chez lui. Durant tout la marche, ils n'avaient pas échangé un mot. Lui était sous le choc. Ce n'était pas vraiment une mauvaise surprise de découvrir cette étrange vérité, mais c'était tout de même troublant. Que la vie existe au-delà de cette planète, il pouvait le concevoir. Que ces êtres soient plus intelligents, il trouvait ça rassurant. Qu'ils vivent dans le corps d'êtres humains, c'était déjà plus compliqué. Mais ce qu'il avait du mal à accepter, c'était le fait que l'un de ces êtres ait pu avoir Holly comme hôte pendant des années sans qu'il s'en apperçoive. Et les questions se bousculaient tandis qu'il fixait la bouteille de scotch. Comment était-ce possible ? Comment avait-il pu ne se rendre compte de rien ? Et le plus important à ses yeux; pourquoi Holly ne lui avait-elle rien dit ?

- Vous savez, si votre amie a tenu ça secret, c'était pour vous protéger.

Andrew lui lança un regard incrédule.

- Vous lisez dans les pensées vous aussi ?

- Non, je lis sur votre visage. Croyez-moi, je connaissais bien Holly. Elle vous faisait confiance. Elle ne vous a rien dit pour vous protéger, répéta t-elle.

- Me protéger ? Je suis flic vous savez. Je vois les choses comme elles sont. Je n'ai pas besoin d'un ange dans la tête pour me rendre compte que nous vivons dans un monde de fous.

- Il n'y a pas que ça. Bien sûr qu'elle vous savait lucide, mais connaître l'existence des "anges" comme vous dîtes, entraine un risque supplémentaire, dont vous n'aviez pas besoin.

- Lequel ? demanda Andy.

Tania se leva et alla porter la bouteille dans la pièce voisine. Elle avait suivi les mouvements de regard de Riker, vu son visage chiffoné et sentit la légère odeur qui émanait de ses vêtements. Elle avait comprit.

- La première fois que les Daerens sont venus sur Terre, il ignorait que nous étions ainsi. Pour eux, des êtres qui se faisaient volontairement du mal était d'une telle absurdité qu'ils ne l'ont même pas imaginés. Alors ils sont arrivés ici, pensant pouvoir établir un contact et découvrir un nouveau monde. Au lieu de ça, ils débarquent dans un univers pré-apocalyptique, où tout ce qui est différent est rejeté, par peur. Savez-vous qu'ils ne connaissaient pas la peur avant de venir sur Terre ? De même que la haine et la colère leur étaient inconnues.

- Où voulez vous en venir ? coupa Riker, qui n'était pas d'humeur à philosopher.

- D'accord, souffla Tania, pour résumer, le premier navire Daeren qui a débarqué a été abattu. Ce ne fut pas sans suite. Ce que j'essaie de dire, c'est qu'il existent des gens qui connaissent l'existence des Daerens, sans poursuivre le même but. Ils sont au courant de pas mal de choses à propos de ces extraterrestres, mais heureusement, ils n'en n'ont pas capturés vivants.

- Pourquoi "heureusement" ? Qu'est-ce qu'ils veulent ?

- Ils ont captés des transmissions en provenance des arrivages suivants. Ils connaissent le projet des Daerens. Et ce n'est pas pour leur plaire. A long terme, et s'ils sont plus nombreux, les "anges" pourraient réellement changer le monde. Ils mettraient tous les terriens sur un pied d'égalité. Ce qui ne souhaitent pas ce qui sont en haut. Alors ces gens essayent d'un coté de contrecarrer le plan des Daerens, de l'autre, d'apprendre ce qu'ils savent sur les capacités de l'esprit humain. Ils sont très dangereux. Et c'est d'eux qu'il faut se méfier.

Riker assimila. Bon, la situation était plus complexe qu'elle n'en avait l'air. Génial. D'autant plus qu'il ne comprenait pas grand chose.

- Qui eux ? Et comment vous savez tout ça ?

- Angel le savait, avant. C'est elle qui m'en a parlé. Vous savez, ce n'est pas n'importe quelle Daeren... Quant à ces personnes, ils se font appeler "Ceux Qui Savent".

- "Ceux qui savent..." drôle de nom.

- Vous savez, la connaissance, c'est le pouvoir. Vous imaginez ce que des terriens, avec leur mentalité actuelle, pourraient faire s'ils découvraient comment utiliser la totalité de leur cerveau ?

Andy n'imaginait pas non. Il n'aimait autant pas d'ailleurs. La journée était suffisament désagréable comme ça.

- Je n'en sais pas beaucoup plus sur eux, conclut Tania. Et je ne tiens pas à les rencontrer pour en connaître d'avantage...

 

*      *      *  

        Tous les six avaient passés l'après midi dans les couloirs de l'hopital, attendant des nouvelles de leur amie et fille adoptive. En vain. Elle n'était pas visible, leur disait-on. Ils étaient restés jusqu'à ce que l'horloge indique vingt-deux heures trente, l'heure des visites. Ensuite ils avaient dû sortir. Et maintenant, ils étaient en cours, incapable de prêter attention à ce que leurs disaient leur profs respectifs.
Lisa était retourné à l'hopital ce matin, leur promettant de les appeler dès qu'elle aurait du nouveau. En attendant, elle leur avait demandé d'aller au lycée, prétextant que ça leur changerait les idées.
Malgré la prestation amusante de mr Barnett, Diana ne pouvait se changer les idées. Une seule pensée : Lucie. Elle adorait cette fille. Elle faisait partie intégrante de leur petit groupe d'amis. C'était quelqu'un de vraiment adorable. Une sorte d'ange. Si elle n'était plus là, qui les emmenerait tous au prochain concert d'Oasis ? Qui les écouterait disserter des affres de l'adolescence, en leur prodiguant des conseils, rirait à leurs blagues stupides ? Et qui allait s'occuper de tous les gens en difficulté dont Lucie avait la charge dans son métier ? Lucie était irrenplaçable, et Diana, comme Sebastien ne voulait pas la perdre. Ils pensaient donc à elle, de peur qu'elle ne les quitte s'ils détournaient leurs esprits un seul instant.

- Mademoiselle Nolane, j'ose espérer ne pas trop vous ennuyer.

Il lui disait "vous", ce qui était très mauvais signe. Diana hésitait entre lui répondre sarcatiquement que oui, il l'ennuyait, ou entre lui faire de plates excuses. Elle opta pour le second choix.

- Excusez moi. Je vais me concentrer.

Assis à coté d'elle, Sebastien lui lança un regard compatissant.

- Ca va aller, dit-il à voix basse.

- D'accord, répondit Diana.

Elle tenta de suivre le cours. Suite du "Seigneur des Anneaux", une idée de Sebastien. Diana n'avait jamais lu le livre avant que le cours de littérature ne le lui impose. Elle avait aimé, beaucoup. Et elle saisissait parfaitement le symbolisme de cet anneau de pouvoir, dont parlait Alf. Enfin, mr Barnett. Le pouvoir menait à la corruption. Les puissants se laisser dominer par le pouvoir, à tel point qu'ils n'en étaient plus que l'incarnation, et non des êtres vivants. Malgré sa participation au cours, le professeur souhaita lui parler à la fin de l'heure. Sebastien l'attendait à l'extérieur. Diana esperait que ce ne serait pas long. Il y avait déjà Willis qui avait voulu lui parler avant-hier. Mais pas d'elle. De Lauren. Jack Willis, était avec Barnett, le seul prof qu'elles avaient en commun. Il savait quelle relation elles entretenaient. Il voulait juste lui faire remarquer que Lauren avait l'air déprimée ces derniers temps. Le professeur Willis avait repéré quelques signes, qui s'ils sembleraient sans importance chez n'importe qui, étaient étonnants de la part de Lauren, d'ordinaire perpétuellement de bonne humeur. Il voulait simplement dire à Diana qu'il serait bon de lui remonter le moral. Diana avait été très touchée. C'était rare de voir un prof se soucier à tel point du bien être de ses élèves. Mais elle ne pensait pas que Barnett voulait lui parler de sa petite amie.

- Diana, je ne sais pas ce qui se passe avec tes amis, mais tu es la deuxième en deux jours de cours que je vois dans cet état. Sans parler de Sebastien.

- Cet état ?

- Ailleurs, perdue dans des pensées qui n'ont pas l'air joyeuses. Jess était comme ça avant-hier. S'il quelque chose ne va vraiment pas, il faut en parler.

Diana hésitait. Elle avait besoin de parler à quelqu'un. Elle se rappela que Lucie était une ancienne élève de mr Barnett. Et elle ne voyait pas pourquoi elle ne pourrait pas lui dire.

- Nous avons une amie à l'hopital. Lucie Anderson, vous vous rappelez d'elle ?

- C'est le genre de personne que l'on n'oublie pas Diana. Elle vient me voir de temps en temps. Elle a quelque chose de grave ?

- Elle a été agressée. Je n'en sais pas plus. Pour l'instant, on ne peut pas la voir.

- Je suis désolée, dit-il sincèrement.

Il était même plus que désolé. Triste, inquiet... Il ne voulait pas le montrer à Diana. Elle avait besoin de réconfort, même si ce n'était pas vraiment à lui de lui donner.

- J'espère que tout ira bien. En attendant, essayer tous de vous reposer un peu, et de vous changer les idées. Tu me donneras des nouvelles ?

- Bien sûr.

Al consulta son emploi du temps. Il avait la classe de Lauren, David et Jess après l'inter-cours.

- Je suppose que tes amis ne seront pas plus en forme. Je tacherai d'être indulgent, fit-il en souriant.

La jeune fille lui rendit son sourire, et partit non sans le remercier. Elle se sentait un peu mieux. Elle rapporta sa conversation à Seb.

- J'aime bien ce prof, lui confia t-il. Il est un peu comme Willis.

- Ce sont de grands copains tu sais. Même Georges l'appelle "tonton Al".

- Le pauvre, murmura Seb en pensant à la masse de nerf qu'était Georges.

Il s'imaginait le gamin, détruisant tout dans la classe impeccable de Mr Barnett. Penser aux problèmes des autres l'avait toujours aidé à oublier les siens.

 

*      *      *

        Le lieutenant Tom Wolfe était sous le charme. C'était bien la première fois qu'il se félicitait qu'un prévenu refuse de parler en présence de son avocat. Il fallait dire que l'avocat en question était du genre féminin, avait deux longues jambes et un visage d'ange. Si l'on exceptait les yeux. Ils étaient d'un magnifique vert émeraude, mais s'ils avaient été des revolver, Wolfe n'aurait pas donné cher de sa peau. Ces yeux là donnaient l'impression de traverser, ou plutôt de transpercer tout ce sur quoi ils se posaient. Le lieutenant avait le sentiment d'être tout nu, comme si elle pouvait voir à travers sa plaque de flic et son uniforme. Si jamais elle regardait son coeur, il mourrait sur le champ, un trou dans la poitrine. Bon sang, elle devait vraiment lui faire de l'effet pour qu'il pense de telles conneries ! Elle, c'était Kathleen Mallory, avocate plus que réputée dans sa profession. Les admirateurs disaient qu'elle était la meilleure du barreau, les envieux qu'elle gagnait parce qu'elle n'avait pas de conscience. Wolfe s'en fichait. Avec un physique pareil, pas besoin de conscience.

- Nous allons jouer de vos relations, disait-elle à Miguel Vasquez.

Le regard de cet homme aussi était expressif. Malgré la mauvaise posture dans laquelle il était, son visage exprimait une assurance et également une espèce d'indiférence, comme si rien ne pouvait l'atteindre. Il promenait ses yeux du sol au plafond de la pièce dépourvue de fenêtre. Il évitait de croiser le regard de Mallory. Tom Wolfe comprenait. Il était heureux d'être derrière ce miroir sans tain. Pour rien au monde il n'aurait voulu être enfermé avec ces deux-là, malgré l'attirance qu'il éprouvait pour la belle femme. Même s'ils étaient censés être alliés, ou du moins avoir le même but, ils ressemblaient à deux fauves prêts à s'entredévorer. Wolfe se demanda si Mallory avait une quelconque considération pour cet homme ou s'il était juste un client. Comment savoir ? C'était un assassin et un proxénète. Peut-être qu'il l'écoeurait. Quoi qu'il en soit, elle allait essayer de le remettre en liberté. Peut-être même qu'elle réussirait. Et il y aurait un meurtrier de plus dans les rues de New York. Mais, pensait le lieutenant, on était plus à un près. Alors il n'allait pas en vouloir à la belle femme pour si peu...

- Pensez vous pouvoir me faire sortir ? lui demanda Vasquez.

- Avec le carnet d'adresses que vous avez, c'est possible. Sans compter que la seule indication leur permettant de penser que vous avez tué le lieutenant Stewart est un appel anonyme. C'est irrecevable. Rien ne prouve vraiment non plus que vous avez tiré sur [elle consulta sa fiche] Lucie Anderson. Certes, il y avait vos empreintes sur l'arme, mais ça ne veut pas dire que vous avez tiré.

- Je sais. Je suis innocent.

Kathleen Mallory coupa le micro qui permettait aux officiers de les entendre, et se pencha vers son client.

- Je vous serai infiniment reconnaissante de ne pas me prendre pour une imbécile. Je ne crois pas à votre innocence. Vous voulez sortir d'ici ? Alors il ne faut rien me cacher. Vous allez plaider non coupable, mais je dois connaître la vérité.

- Toute la vérité, rien que la vérité, récita Vasquez comme s'il était un habitué des procès. Il y a des témoins pour le meurtre de Anderson. Deux de ses copines, et une de mes employées.

- Une prostituée ?

- Tania Sanders, lacha t-il. Je suppose que c'est elle, le coup de fil anonyme. Elle ne témoignera pas. Si je tombe, elle tombe avec moi, non ?

- La police a en effet mis à jour les activités illégales de votre hotel. Mais j'ai dans l'idée que ce ne sera pas un problème non plus.

- J'ai des clients assez spéciaux, confirma l'assassin.

Il pensait nottement à l'un des gradés de la police qui venait réguliérement louer une chambre, et une hôtesse, cela allait de soi...

- Reste les amies de la victime. Que faisaient-elles l'Overlook ?

- Elles connaissaient Stewart. Elles savaient que Tania l'aidait, ce que je ne savais pas. Mais j'avais des doutes. Ces trois filles ont débarqué pour venir chercher Tania. Je les ai surprises.

Il ne poursuivit pas, étonné du fait de se livrer de cette façon à Mallory. Mais à partir du moment où ses yeux avaient plongés dans les siens, il ne pouvait plus lui mentir. Ni même se taire.

- Deux témoins, plus la victime. Elle n'est pas morte, expliqua t'elle à Vasquez en voyant l'incompéhension sur son visage. Pas encore.

- Ca ne saurait tarder. Je ne manque jamais mon coup.

Il se tut, conscient qu'il venait d'avouer avoir tiré sur Lucie Anderson. Il regarda le micro. Mallory ne l'avait pas rallumé. De quel coté était donc cette femme ?

*      *      *

            Il l'aimait bien. C'était sa conclusion après avoir parlé avec elle pendant plus d'une heure. L'inspecteur Andrew Riker amait bien la dame de la nuit Tania Sanders. Même si elle pratiquait un métier peu honorable, il comprenait. Elle n'avait pas eu le choix. Mais elle s'était battue pour une cause, contre ce qu'elle faisait. Elle s'était remise en question, et avait choisi. Andy réalisa que Tania lui rappelait Holly. Pas étonant que ces deux-là aient été amies.

- Je ne peux pas rester ici, annonça Tania. Vasquez aura vite fait de me retrouver.

- Il est en prison, voulu-il la rassurer.

- Même à l'autre bout du monde, il a son influence. Il a des yeux et des oreilles partout. Ce n'est pas qu'un petit mac, proprio d'un hotel miteux. Il est haut placé. Et il voudra me retrouver.

Riker dut admettre qu'elle avait raison. Ce type était réelleement dangereux. Mais il connaissait un endroit où personne n'irait jamais chercher personne. Seulement, il hésitait...

- Je connais quelqu'un qui peut... disons vous héberger, encore que ce soit un grand mot. Vous seriez prête à vivre pendant quelques temps dans des conditions plus que difficiles ?

La jeune femme lui fit un sourire triste.

- Vous ne croyez pas que j'ai vécu jusqu'ici dans des conditions faciles ?

Et pour ne pas le mettre dans l'embarras, elle enchaîna :

- Qu'est-ce que vous proposez ?

Convaincu, Andy l'avait emmené se promener. Sur le chemin, elle lui demanda pourquoi il n'avait pas de voiture. Il lui expliqua qu'il en avait une. Elle n'en dit pas plus. Pas qu'elle soit certaine de comprendre, mais il était évident que Riker ne voulait pas parler. Ils avaient marché jusqu'à une petite place publique. Un air d'harmonica se faisait entendre. Un morceau à la fois entraintant et douloureux. Du blues. L'homme qui jouait était un homme sans âge. Il avait l'air de ne pas dépasser trente-cinq ans, mes ses yeux le vieillisait. On avait l'impression qu'il avait des années d'expérience de la vie derrière lui. Il soufflait dans son harmonica, faisant esquisser quelques pas de danse à certains passants. Mais lui ne bougeait pas. Il jouait, sans se préocuper du reste. Il se contentait de lever la tête et de sourire lorsqu'il entendait le tintement d'une pièce tombant dans sa timballe.

- Il s'appelle Eddy. Il vit dans la rue le jour, et squatte une cabane la nuit, dans un quartier résidentiel.

Tania aimait sa musique. C'était déjà ça. Et puis cet homme lui semblait familer.

- Et il ne va pas poser de questions ? s'interrogea t-elle.

- Non.

- C'est un sans-abris, il vit dans une cabane, et il va accepter de m'aider, sans poser de questions ?

- Il a une dette envers moi. Je ne l'arrête pas pour vagabondage.

- Pourquoi ?

- Histoire de passé commun.

Comprenant qu'une fois de plus, elle avait posé trop de questions, Tania laissa Andrew s'enfoncer dans son mutisme. Il ne lui dirait plus rien de lui aujourd'hui. Peut-être un jour saurait-elle. Mais ce n'était pas ses affaires. Ils attendirent silencieusement qu'Eddy ait finit son morceau et que la petite foule se disperse, avant de rejoindre le musicien.

- Bonjour Eddy, le salua Andy avec un mélange de respect et de mépris.

- Inspecteur Riker, répondit le sans-abris sur un ton des plus officiels. Que puis-je faire pour vous ?

- Conduire cette personne dans ta planque. Et veillez à ce que personne ne vienne la déranger.

Ed ne broncha pas, même si cela le contrariait. Il jaugea la nouvelle copine de Riker. Elle n'avait pas l'air bien méchante.

- Là maintenant ?

- Exact. Maintenant. Et pas d'histoire, ton abri de jardin est presque plus grand que mon salon. Tu reviendras faire la manche plus tard. Il n'y en a que pour quelques jours, ajouta t-il plus pour rassurer Tania qu'Eddy.

Tania avait énormément de mal à définir la relation entre ces deux hommes. Ils semblaient à la fois se craindre et s'estimer l'un l'autre.

- O.K., dit Eddy, ce qui signifait aussi au revoir.

Andy partit alors non sans accorder à Tania un dernier sourire d'encouragement. Le vagabond se tourna vers elle.

- Bon, et bien en route vers mon palace...

Le quartier où Ed dormait n'avait rien à voir avec celui dans lequel où il travaillait. Il était vrai que New York était une ville plus que disparate, une sorte de mosaïque ethnique et culturelle. Les gens qui vivaient ici devaient être plus qu'aisés.

- Ceci est le jardin de Mr et Mme Mayers, un couple de petits vieux irrascibles.

La maison était assez grande pour accueillir une famille de cinq ou six personnes. Le jardin était de taille moyenne, peu ou pas entretenu. Les mauvaises herbes y cotoyaient quelques fleurs que l'atmosphère de la ville faisait mourir plus vite. Encastrée entre deux arbres, la fameuse planque d'Eddy. Riker avait quelque peu exagéré. Quatre murs et un toît faits de planches de bois tenait lieu de logis. Avec mille précaution, Ed se glissa dans le jardin, sa nouvelle colocataire sur ses talons. L'intérieur de l'abri était plus accueillant que l'extérieur. Ed avait entassé le peu de matériel de jardinage dans un coin, libérant assez de place pour que deux personnes puisse y dormir. Il avait apporté une pile de couvertures abimés mais propres.

- Voilà. C'est juste pour dormir. Les Mayers sont à moitié sourds, ils ne nous entendent pas. Mais si un jour ils vous surprennent, ils vous tireront dessus. Le vieux était soldat dans sa jeunesse. Il a une vieille pétoire qui s'enraye mais qui peut tout de même faire des dégats.

- Comment vous savez tout ça ?

- Je regarde, répondit simplement Eddy. Je passe mes journées dehors, je vois cette ville et les gens qui s'y promènent. Je les connais, même si eux ne me connaissent pas. Voir en eux n'est pas difficile. Vous savez, je suis sans doute le meilleur informateur de Riker.

Tania avait  envie de lui demander comment ils s'étaient recontrés, mais ne le fit pas. Ed lui aurait sans doute répondu, et elle aurait eu l'impression de trahir Andrew.

- C'est pas tout ça mais je dois gagner ma journée. D'autant plus que j'ai une bouche supplémentaire à nourrir, dit-il en souriant.

Elle lui rendit son sourire. Andy lui avait juste demandé de lui trouver un toit, et il se souciait d'elle quand même.

- J'ai de l'argent sur moi, dit-elle à son logeur. Assez pour deux.

Elle sortit quelques billets de la poche de sa chemise. Le sourire d'Ed s'élargit jusqu'à ses oreilles. Les choses n'allaient pas si mal finalement. Il allait pouvoir manger de la nourriture digne de ce nom, et surtout, il avait de la compagnie.

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