Vivre... ou survivre

épisode 1_03

idée et rédaction de Jade

 

            Les murs étaient d'un blanc uniforme. Le plafond ; les draps ; la porte, tout était à tel point blanc qu'on en perdait ses repères, comme seul au milieu d'une immense étendue de neige. Le visage de Lucie aussi était très pâle. L'unique couleur était le vert de la courbe qui s'inscrivait sur le monitoring et faisait un saut à chaque battement de cœur de la jeune femme. Seul signe extérieur qui montrait qu'elle était encore en vie.

- Tu me manques, dit Jessie. Tu nous manques, corrigea t-elle.

Lucie manquait aussi à Angel. Elle manquait à toute personne l'ayant rencontrée ne serait-ce qu'un instant. Car c'était pour chacun une rencontre inoubliable.

- Les médecins disent que tu vas mieux.

Elle ne disait pas ça parce que c'était vrai, mais parce que c'était ce qu'il fallait dire. Si son amie l'entendait, elle devait l'apaiser, la rassurer. C'était peut-être la seule chose qu'elle puisse faire pour elle.

- Tout le monde pense à toi tu sais.

Elle sentait les larmes monter, mais les refoula. En aucun cas, d'aucune manière, il ne fallait inquiéter Lucie. Lui parler, lui parler sans s'arrêter. Mais c'était tellement dur de la voir ainsi. Elle n'avait pas imaginé que ce serait aussi difficile. Il ne s'agissait pas simplement de s'asseoir à coté de Lucie et de lui apporter son soutien. Elle aussi avait besoin de soutien. Le son lugubre du respirateur la faisait frissonner.

- On sais que tu vas revenir. On attendra le temps qu'il faudra.

Elle allait craquer...

- Mais il faut que tu te réveilles.

Il y avait des sanglots dans sa voix. Elle avait craquée. Comment avait-elle pu ? Jess prit la main de Lucie dans la sienne et la serra très fort.

- Je suis là.

Jessie aurait du être quelque peu rassurée par les derniers événements : alors qu'elle était elle-même inconsciente, elle avait vue Lucie, preuve que son amie vivait toujours, d'une certaine façon. Mais elle savait qu'elle n'allait pas bien. Lucie ne le lui avait pas dit, mais Jess l'avait ressenti. Elle avait peur pour Lucie. Peur que celle qui était pour elle une soeur ne passe dans ce que le Médiateur appelait le niveau six. La mort.

- Elle le sait, lui souffla une voix.

C'était celle d'Angel, qui jusque là avait préférée garder le silence comme pour laisser de l'intimité à Jessie.

- Je pense qu'elle nous entend, peut-être pas tout le temps, mais elle est consciente, d'une certaine manière.

Jess n'était pas convaincue, même si elle le voulait. Peut-être ne souhaitait-elle pas se raccrocher à de faux espoirs... Mais devait-elle pour autant abandonner toute espérance, aussi infime soit-elle ? ?

- Tu ne dis pas ça parce que j'ai envie de l'entendre ?

- Non, répondit simplement l'ange.

- Tu veux lui parler ? demanda alors la jeune fille.

- S'il te plaît.

Jessie Wells céda alors le contrôle de son corps à Angel, la Daeren qui vivait en elle.

- Lucie, c'est Angel. Je voulais te dire que...

Le bruit de la porte l'interrompit. C'était Lisa Phillips qui entrait, un bouquet de fleurs à la main. Enfin de vraies couleurs dans cette pâleur spectrale.

- Bonjour Jess.

Elles s'étreignirent brièvement.

- Comment va t-elle ? demanda Lisa.

- Toujours pareil.

- Et toi ?

Jess ne savait pas trop quoi répondre.

- Ca va, je crois.

- Tu étais en train de lui parler, remarqua Lisa. Tu veux que je vous laisse seules toutes les deux ?

- Non, reste s'il te plaît.

Lisa prit une chaise et s'installa à coté de Jess. Elle pouvait sentir à quel point l'adolescente était mal. Elle savait quel lien unissait les deux jeunes filles. Si Lucie pouvait entendre, la présence de Jessie à elle seule devait lui faire du bien. Mais elle n'avait pas le sentiment que ces visites étaient bénéfiques pour Jess... Ce qui ne l'empêcherait pas de continuer à aller voir sa "soeur" tous les jours, jusqu'à ce qu'elle se réveille.
En fait, Lisa et Jessie étaient dans le même cas : l'une comme l'autre étaient privées du contact d'un être cher, et ignoraient si elles pouvaient réellement l'aider.

- Jess ? Tu ne dois pas croire ça. Tu l'aides, juste en étant là pour elle.

- Je voudrais pouvoir en être sûre. Je voudrais que l'on puisse simplement se parler.

Elle l'avait déjà fait une fois, mais c'était dangereux. Le Médiateur les avait prévenues : plus l'on s'enfonçait dans les niveaux de l'inconscience, plus revenir à la surface était difficile. Mais Jess était prête à prendre le risque.

- A quoi tu penses Jessie ? A te plonger dans le coma pour lui parler ? C'est une très mauvaise idée.

- Pourquoi ça ? Lucie y est bien elle. Je ne veux pas qu'elle soit toute seule.

- Elle n'est pas toute seule.

Mais avant qu'Angel ne puisse développer son point de vue, Jess avait capté quelque chose, un sentiment de peur qui émanait de... Lisa.

- Lisa ? Qu'est-ce qu'il y a ?

La mère de Lucie regarda longuement la jeune fille, se demandant si elle devait lui parler ou non de son trouble. Elle savait qu'on ne cachait pas grand chose à Jessie, à cause de son "don". Et quelque part, elle avait envie de parler de ce qui l'angoissait, seulement Jess n'était pas la personne idéale. Pas parce qu'elle ne pourrait pas la comprendre, au contraire, mais parce que la jeune fille avait assez à faire avec ses propres angoisses.

- Tu peux me parler, fit Jess comme si elle avait lu ses pensées.

- Tu crois qu'elle est consciente de notre présence ?

Jess avait du mal à croire que c'était Lisa qui posait cette question. C'était elle qui les encourageaient tous à parler à Lucie, qui leur avait assuré qu'elle les entendait et que leurs présences étaient bénéfiques à la jeune femme. Et pourtant, elle-même n'en était pas sûre.

- Je ne le crois pas. Je le sais.

Comment n'avait elle pu se rendre compte de rien ? Elle aurait du sentir le désespoir évident de Lisa. Elle avait peur de ne pas pouvoir aider Lucie. Jess se devait de la détromper.

- Crois moi, je le sais, fit elle en appuyant sur les syllabes.

Lisa sonda le regard de la meilleure amie de sa fille. Elle pouvait la croire. Et pas seulement parce qu'elle avait ce don, mais parce qu'il existait un lien très fort entre elle et Lucie. Et surtout, parce qu'elle lui faisait confiance.

- Les analyses ont toutes confirmé que Lucie est en vie. Même si elle ne réagit pas aux stimuli extérieurs, elle pense. Son électro-encéphalogramme le montre...

- Je n'ai pas besoin de preuves scientifiques à l'appui Jess. Ta parole me suffit. Je me demande même pourquoi j'ai douté...

Lisa se montrait trop exigeante vis-à-vis d'elle même. Comment ne pas craquer avec la pression qu'il y avait sur ses épaules ? Jess trouvait formidable la façon dont elle gérait tout ça. Pourtant elle ne le lui avait jamais dit, n'avait pas pris conscience que Lisa était humaine, et sa résistance surhumaine.

- Merci, dit-elle à la mère de Lucie.

Cette dernière ne lui demanda pas pourquoi.

*      *      *

             L'inspecteur Andrew Riker confia Devon Granger, le dealer de la station de métro, aux "bons soins" de l'agent Tom Wolfe. Le lieutenant Wolf avait toujours eu des méthodes que Riker réprouvait, mais pour une fois il ne ferait pas la fine bouche. A lui aussi cela arrivait de cogner un peu fort sur les informateurs, jamais sur ses prisonniers cependant. Pour Devon, il était près à faire une exception. En revanche, il espérait ne pas avoir à retravailler avec Wolfe. D'abord, il ne remplacerait jamais Holly. Andy avait d'ailleurs demander à son supérieur de ne pas lui imposer de nouveau partenaire. Ensuite parce que même si aujourd'hui il permettait à Tom de casser la gueule du dealer, il ne l'aimait pas. Il faisait preuve d'un comportement sexiste, parfois raciste. Le genre d'agent qui se croyait dans un polar américain sur les ô combien difficiles conditions de vies des flics.
Il assista à l'interrogatoire de l'autre coté de la vitre sans tain. Wolfe tournait autour de Devon, tel un fauve à l'affût. Chacun de ses muscles étaient tendus. Il demanda au jeune homme menoté et assis sur une inconfortable chaise de lui dire qui était son revendeur. Devon fit celui qui ne voyait pas de quoi il parlait. Mal lui en prit. Le lieutenant lui assena un coup au visage. La tête du dealer bascula en arrière, puis revint en position normale, un rictus de joie sur le visage.

- Vous ne pouvez pas me frapper. Je connais mes droits.

Il encaissa un autre choc. Cette fois, il ne souriait plus.

- Tes droits ? fit Wolfe d'une voix suave. Quels droits ? Tu n'as aucun droit ici. Ce n'est pas la loi qui régit cet endroit. C'est moi, et uniquement moi. Je suis la loi, et dans mon code personnel, je peux te frapper jusqu'à ce que cela ne m'amuse plus.

Riker devait reconnaître qu'il savait s'y prendre. Son éloquence faisait son effet. Devon avait perdu une bonne partie de son assurance. Mais il n'était pas non plus sur le point de craquer. Peut-être que Wolfe ne devrait pas le sous-estimer...

- Alors ?

- Alors ? Je n'ai pas de revendeur. La drogue je la fabrique moi-même dans mon sous-sol.

Tom Wolfe détestait par dessus tout être pris pour un con. Le coup qu'il découcha au gamin fut tel que celui-ci tomba de sa chaise. Pour Riker, la limite avait été franchie. Il entra dans la pièce sans crier gare et emmena son subordonné dehors.

- Vous avez fait retomber toute ma mise en scène ! protesta l'agent.

- Et je vous ai aussi empêché de passer devant un tribunal. Granger peut très bien porter plainte. Il est des avocats qui se feront un plaisir de défendre un dealer contre un flic.

Wolfe sut qu'il faisait allusion à Kathleen Mallory, et aux souvenirs qu'il avait de cette femme, il préférait l'avoir dans son camp que contre lui. Il restait tout de même furieux de l'intervention de Riker. Se faire sermonner par un alcoolique, lui. On aurait tout vu ! Il soupira.

- Il n'y aurait pas eu de témoins. Et maintenant il ne dira plus rien.

- Il y a d'autres méthodes. Vous êtes déchargé de cette affaire.

Tom Wolfe décidât de partir sans protester et la tête haute. Mais il avait une furieuse envie de cogner sur quelque chose ou quelqu'un. Il sera les poings pour les empêcher de fuser vers quoi que ce soit.

- Hey ! l'interpella Riker alors qu'il avait parcouru la moitié du couloir.

Il se retourna et le jaugea d'un air méprisant.

- Vous vous trompez lieutenant. Il y aurez eu un témoin.

Andy regarda le jeune homme partir en contenant sa rage. Il se demanda si vraiment il aurait témoigné contre son collègue pour défendre ce qui le dégouttait le plus. Il ne voulait pas tellement y réfléchir. Et s'il ne tolérerait pas que l'on tape de nouveau sur les détenus, il tenait tout de même à obtenir des informations. Bien sûr, comme il l'avait fait remarquer à Tom, il y avait d'autres méthodes. Il songeait à une en particulier, mais il ignorait s'il en avait le droit. Il pouvait demander à Angel de sonder l'esprit de Devon Granger. Mais accepterait-elle ? C'était sans doute ce type qui, indirectement peut-être, l'avait mise dans l'état dans lequel elle était lorsqu'elle s'était rendue à son bureau pour lui dire où il se cachait. Il espérait qu'elle allait mieux à présent. Il s'aperçut qu'il n'avait pas cherché à le savoir. Parce qu'il avait préféré se croire encore seul au monde. Après Holly, Tania l'avait quitté. Et il avait alors oublié ces jeunes gens qui étaient par deux fois venus le trouver. L'amie d'Holly était toujours à l'hôpital, la dernière fois qu'il avait vu Jessie, elle était presque dans le même état. Ils ne les avait vu que succinctement, pourtant il était déjà attaché à eux. Après tout, Jessie Wells et Angel lui avait confié leur secret. Un secret qui pouvait changer le monde.... Ils lui faisaient confiance, comptaient sur son aide. Alors, peut-être qu'ils étaient ses amis. Pourquoi pas ? Le fossé des générations ne semblait pas les atteindre. Oui, il avait encore des amis. Et il se devait de prendre de leurs nouvelles.

 

*      *      *

       Il était une heure de l'après-midi et le soleil inondait la cour de lumière. Tout le petit groupe s'était réuni dans leur coin habituel et discutait de leurs emplois du temps respectifs.

- Puisqu'on finit tous tôt aujourd'hui, je propose que l'on aille s'amuser un peu, fit Diana. C'est vrai, ces derniers temps on ne peut pas dire qu'on ait vraiment rit.

Sebastien, sa demi-sœur et David semblaient d'accord, mais Diana vit bien que Jess disait oui sans vraiment le penser. Elle comprenait que son amie n'ait pas le cœur à rire, à vrai dire elle non plus. Mais ils devaient baisser la pression s'ils ne voulaient pas craquer. En tant ordinaire, Diana aurait dit tout haut à Jess ce qu'elle pensait, mais elle préféra se modérer. Pas la peine de bousiller son moral encore plus qu'il ne l'était.

- Attends, intervint Lauren. Aujourd'hui c'est le jour du "débat inutile aux élèves mais gratifiant pour Turner".

Environ tous les deux mois, le lycée organisait un débat entre lycéens et professeurs, avec des sujets tels que le racisme ou l'intégration.  Relativement peu d'élèves y prenaient part et encore moins de professeurs, prétextant un manque de temps pour ne pas à justifier leur inintérêt. Ceci dit, la plupart des lycéens étaient conscients que le principal Turner organisait ces petites réunions plus pour le prestige de l'établissement que par réel souci d'inculquer des valeurs à ses élèves.
Il arrivait à David et Lauren d'y participer, les autres aussi mais moins régulièrement. Quand le sujet les intéressait, ils venaient, d'autant plus que les débats étaient animés entre autre par Barnett et Willis. Deux raisons en soi d'y assister.

- Nos cours se terminent à trois heures et demie, le débat est à cinq heures.

- Le sujet ?

- Le droit de vivre. Ils veulent nous parler de l'avortement, et de l'euthanasie. A mon avis, et quand on sait que les profs n'ont pas le droit de nous exposer leurs avis personnels en cours, ce n'est pas Turner qui a choisi le sujet.

Le mot euthanasie avait intérieurement fait sursauter Jessie.

- Je trouve que c'est une mauvaise idée. C'est le genre de thème trop sensible pour que des jeunes veuillent donner sincèrement leur avis devant les autres.

- Peut-être, mais à cause de cela, il n'y aura que des élèves réellement désireux de partager leurs opinions.

- Tu as raison David, intervint le professeur Willis. Il les avaient vus dans la cour et voulait leur demander s'ils comptaient participer au débat. Il tenait la liste des élèves de première pour anticiper le nombre de jeunes qu'il y aurait.

- Mr Willis, le salua le jeune homme. Vous présidez toujours cet après-midi ?

- Bien sûr. Vous savez, dit-il en s'adressant au groupe entier, je comprendrai parfaitement si vous décidiez de ne pas venir, compte tenu de la situation.

Il faisait sans doute référence à l'état de Lucie. Les jeunes gens étaient touchés que leur professeur fasse preuve d'une telle compassion.

- Nous viendrons, lui assura David. Ce sera d'autant plus important pour nous d'en parler.

- Dans ce cas, à tout à l'heure, répondit l'enseignant avec un sourire. Il cocha leurs noms sur sa feuille.

Jack se rendit vers la salle des professeurs en espérant que Al y serait. Pour l'instant, il n'y avait que Stanley White, professeur d'économie, capitaliste jusqu'au bout des ongles et qui avait l'habitude lorsqu'il parlait aux gens de poser les questions et d'y répondre par lui-même. Jack le salua en priant intérieurement que cette politesse ne lui coûte pas une tirade sur le cours de la bourse.

- Jack, bonjour ! lui répondit White. Comment va ?

- Bien, bien, répondit Jack avant de se retourner pour chercher un dossier fictif dans une armoire.

Mais ses efforts pour échapper à une conversation, ou plutôt un monologue avec Stanley étaient vain. Le spécialiste en économie avait ferré sa proie, et il ne pouvait plus lui échapper. A moins que...
La porte s'ouvrit, laissant entrer Al. Le soulagement de Jack ne dura pas en voyant que White ne l'avait pas pour autant quitté des yeux. Il s'interrompit une seconde pour dire bonjour à son collègue et poursuivit le résumé du formidable cours qu'il avait exposé aux terminales ce matin. Or la politique économique du Liechtenstein n'était pas le sujet favori de Jack. Comprenant que son ami était en difficulté, Al improvisa un plan de sauvetage et fit sonner sa montre.

- Oh, excusez moi c'est l'heure de... mes pilules, inventa t-il.

- Vos pilules ?

- Contre l'agressivité, répondit Al en un sourire forcé. C'est Jack qui les a gardées dans son labo. Tu pourrais venir me les donner ?

- C'est que nous discutions... commença White, déçu.

- Oui, mais c'est urgent. Je ne voudrais pas vous frapper parce que je n'aurais pas pris mes médicaments.

Jack faisait des efforts surhumains pour s'empêcher de rire au vu du visage de Stanley White.

- J'arrive fit-il à son collègue. Désolé, ajouta t-il à l'intention du professeur d'économie.

Il passa devant Stanley et lui serra énergiquement la main.

- J'ai été ravi de bavarder avec vous. J'espère que nous pourrons poursuivre cette conversation au plus vite.

Il fila en compagnie de Al sans demander son reste et tous deux se rendirent dans son labo. Les résidus olfactifs des dissections qui s'y étaient déroulées le matin repoussaient suffisamment le reste de la population du lycée pour qu'ils puissent être tranquilles.

- Merci, souffla Jack.

- Mais de rien. Je voulais te parler de l'organisation pour tout à l'heure mais j'ai eu dans l'idée que nous ne pouvions pas vraiment discuter en salle des professeurs.

- Bien vu. Alors, d'après toi ?

- Pas plus d'une cinquantaine d'élèves ne viendront. De toute façon, à chaque nouveau débat on en perd... A se demander pourquoi on bosse.

- Pour qu'une fois tous les deux mois, Turner puisse vanter les mérites de lycée dans un article bidon sur ces fameux débats. Il n'a rien d'autre après tout.

Al acquiesça.

- Donc la vraie question c'est : pourquoi on s'y colle. Mais je crois que nous connaissons tous deux la réponse.

- Oui. Heu, dans la liste des problèmes relatifs à l'organisation, on trouve en tête le nettoyage.

- Le nettoyage.

- Oui, comme notre salle habituelle est en travaux, ça se fait dans le réfectoire. Seulement, le nettoyage ne sera fait que demain matin avant les cours. Ce qui a des conséquences.... que je ne souhaite pas décrire étant donné que nous venons de manger.

Le professeur de littérature se représenta la scène : les quelques rares élèves qui prenaient part à la vie du lycée obligés de débattre parmis les restes de nourriture jonchant sols et chaises... Mais ce n'était pas ce qui le préoccupait le plus.

- As tu parlé à David Phillips ?

- Ils vont venir, dit Jack en anticipant sur la question qui suivrait. Ils trouvent d'autant plus important, au vu des circonstances, de participer et d'entendre les avis des autres.

- Je suis allée voir Lucie à l'hôpital. Elle est vraiment mal en point. Les médecins finiront par leur poser la question... J'ai rencontré la mère de David, fit-il pour ne pas avoir à finir sa phrase.

- Lisa Phillips ?

- C'est ça. C'est une femme vraiment... charmante. Adorable.

Jack esquissa un sourire. Il connaissait un peu Lisa parce qu'il avait eu un entretien avec elle au sujet de David en début d'année. Et il partageait les impressions d'Al. Il était extrêmement rare que son ami parle d'une femme en bien. Pas qu'il fut sexiste, mais comme il aimait à le répéter, les femmes le fatiguaient. Or il semblait qu'il existait une exception pour confirmer la règle...

 

*      *      *

            Ed encaissa le choc quand l'infirmier le mit au courant. Il n'arrivait pas à croire que Lucie Anderson était en train de mourir. Lorsqu'ils lui avaient dit qu'elle s'était faite agresser, ces gamins s'étaient bien gardés de lui dire toute la vérité.
Le jeune homme en blouse blanche le conduisait vers la chambre de son amie. Car s'il ne lui avait jamais dit, il considérait Lucie comme une amie à part entière, et non juste comme la femme qui l'avait aidé un nombre incalculable de fois.
L'infirmier le laissa au bord du corridor en s'excusant. Il avait d'autres patients à aller voir. Ed avança le long du couloir jusqu'à la chambre 101. Il eut un autre choc avant même d'ouvrir la porte : de l'autre coté du couloir, une personne qu'il connaissait bien venait dans sa direction. Riker.
Merde, pensa Eddy. Il n'avait vraiment pas envie de se coltiner le policier maintenant. Ce n'était pas le jour. Et puis que faisait-il là ?
Andrew marchait le visage baissé, pensif. Il ne savait pas trop ce qu'il venait faire ici. Peut-être espérait-il y trouver Jessie, ou peut-être rendait-il simplement visite à une jeune femme qui, s'il avait eu le temps de la connaître, serait sans doute devenue son amie. Si elle avait été proche d'Holly, Lucie Anderson ne pouvait être que quelqu'un de bien. Il se rappela la tristesse qu'il avait lu sur son visage lorsqu'il lui avait annoncé froidement le décès d'Holly. Elle avait été comme tétanisée et son amie, Jess, avait du l'emmener dehors. Il aurait pu la rejoindre, parler avec elle de leur amie qu'ils venaient tous deux de perdre, lui demander comment elle l'avait connue, partager des souvenirs. Il aurait au moins pu lui demander son nom. Il avait fallu qu'on lui tire dessus et que l'on lui confie l'affaire pour apprendre qu'elle s'appelait Lucie et qu'elle partageait le plus grand secret d'Holly.
Il releva la tête et reconnu Eddy. Il se tenait devant la porte d'une chambre et le regardait approcher. Pourquoi était-il ici ? Il ne voulait pas d'une dispute avec le vagabond. Arrivé à sa hauteur, il s'aperçut que la chambre dans laquelle Ed s'apprêtait à entrer était celle de Lucie.
Ed comprit que Riker venait voir la même personne que lui. C'était le genre de situations pour lesquelles on avait inventé le mot "coïncidence" et il n'appréciait pas vraiment. Riker n'avait aucun compte à lui rendre, mais il lui demanda tout de même pourquoi il était ici. La réaction de l'inspecteur surpris Ed. Il était comme géné de se retrouver ici en compagnie du vagabond ! Pourquoi ? Il ne le comprit pas, il entendit juste Riker marmonner un "rien qui te regarde" avant de s'éloigner rapidement.
Andy avait l'impression de fuir devant Ed. Sans doute parce que c'était le cas. Il en ignorait la cause, ou préférait le croire.
Ed n'attendit pas que Riker ait disparu de son champ de vision pour entrer. Le spectacle n'était guère réjouissant. Lucie était étendue sur son lit, très pâle et entourée de diverses machines aux sons réguliers.

- Salut, fit Ed comme s'il était évident que Lucie l'entendait. Bon, tu me connais, je n'ai jamais été un grand bavard.

Il tira une chaise pour s'asseoir à son coté et sortit quelque chose de sa poche.

- Mais il existe d'autres formes d'expression que la parole non ?

Il porta son harmonica à ses lèvres et commença à jouer. Du blues, comme toujours. Pourtant ce morceau n'était pas déprimant, bien au contraire. Il exprimait des émotions, mais des émotions plutôt agréables.
Dans le couloir, Andy, qui s'était adossé au mur pour réfléchir, entendit la musique. Et sourit.

 

*       *      *

        A présent que Jess n'était plus toute seule, le cours d'espagnol lui paraissait moins long. D'autant plus que sa "voisine" était dans sa tête et qu'elle pouvait lui parler comme bon semblait sans se faire repérer.

- Je persiste à croire que c'est faisable. Si nous apprenons à nous déplacer dans les différents niveaux, nous pourrions parler à Lucie. Peut-être même l'aider à remonter.

- Et si tu restes coincée ?

Jess était surprise de ne pas l'entendre dire "nous". Angel s'expliqua.

- Je pense pouvoir sans problème aller dans le deuxième niveau, voire le suivant sans risque. Je sais très bien contrôler mon esprit. Et je peux te l'apprendre. Mais cela demande du temps, et si tu tentes l'expérience sans être prête, tu pourrais très bien ne pas pouvoir revenir. Nous serions séparées.

L'empathie de Jess lui fit comprendre qu'Angel avait peur d'être séparée d'elle. Pas parce que cela pourrait avoir des conséquences sur elle-même, mais parce qu'elle était profondément attachée à son hôte. D'ailleurs, Angel ne considérait pas Jess comme un hôte, mais comme son amie.
Jessie devait admettre qu'elle avait raison. Elle pouvait faire confiance à Angel, elle lui avait sauvé la vie, justement grâce à ce parfait contrôle qu'elle avait de son esprit.

- D'accord. Apprends-moi, et seulement après nous irons voir Lucie.

- Cela peut prendre des mois entiers.

- Des mois !

- Si ouvrir les esprits des humains était si simple que tu sembles le croire, nous aurions sans doute déjà réunifié la Terre. Je comprends que tu ne veuille pas laisser Lucie toute seule aussi longtemps. C'est pourquoi j'irai la voir. Seule au début. Ensuite, je pourrais peut-être essayer de t'emmener avec moi.

Jess ne pouvait espérer une meilleure solution.

- Merci. Je ne sais pas quoi te dire d'autre.

- Dans ce cas ne dit rien, et suis le cours !

Ca c'était plus facile à dire qu'à faire. L'ennui la gagna vite, et Jess promena son regard de droite à gauche pour finalement le fixer sur la fenêtre. Elle était au deuxième étage mais la vue n'était pas particulièrement intéressante. Elle détourna la tête pour essayer malgré tout de se concentrer. Mais ses yeux revenaient sur la fenêtre. Elle fit une deuxième tentative mais le même résultat se produisit.
Pour une raison inconnue, elle se sentait attirée par cette fenêtre. Elle voulait l'ouvrir, mais pourquoi ? Ce n'était pas pour rafraîchir la pièce, qui aurait plutôt eu besoin que l'on allume les radiateurs. Jess ne savait pas pourquoi la vitre exerçait sur elle une telle fascination. Ce devait être sans importance. Ou peut-être était-ce de nouveau une phase ? Manque de chance, elle n'avait pas étudié la symbolique des fenêtres en option facultative. Elle ferma les yeux, lasse. L'image lumineuse de la fenêtre fixée trop longtemps resta imprimée sur sa rétine. Elle vit alors cette fenêtre s'ouvrir sur un vide plus éclairé encore, et se sentit comme aspirée par ce vide. De l'autre coté du carreau, des images se succédaient aussi vite que des flashs. Elle voulut se raccrocher à quelque chose mais n'y arriva pas et traversa la vitre. Elle tomba...
... et ouvrit les yeux. Elle était de nouveau en classe. S'apercevant qu'elle avait retenu sa respiration, Jess relâcha son souffle. Que signifiait cette vision ? Elle craignait d'avoir compris.

- Mademoiselle Wells... Sans doute ne considérez vous pas que dormir pendant mon cours soit un manque de respect, mais je ne vois pas les choses comme ça. Vous êtes priée de sortir.

Si Mme Renée tentait d'augmenter sa cote de popularité, Jess trouvait qu'elle s'y prenait très mal. Avec un faible soupir de lassitude, que par bonheur la prof n'entendit pas, elle rangea ses affaires et sortit. De toute façon, elle n'avait pas le temps de suivre ce cours. Elle venait d'avoir une nouvelle phase, car cette vision ne pouvait être qu'une phase, donc une nouvelle mission en quelque sorte. Si vite après la précédente... Les anges n'avaient pas droit aux congés payés ?
Elle attendit devant la porte jusqu'à la sonnerie en espérant qu'aucun surveillant n'aurait la bonne idée de passer dans le couloir et de lui mettre deux heures de colles. A la fin du cours, Lauren et David la rejoignirent.

- Tu dors pendant les cours ? fit David qui avait compris.

- Vois ça comme ça. Bon, il faut trouver les autres et les prévenir que nous avons encore du boulot. On se réunit tous après les cours.

- Et le débat ?

- Ah, le débat. La dernière chose à laquelle j'ai besoin de penser. Mais c'est important. Il reste une heure de cours et nous aurons une heure trente à attendre pour la réunion. C'est suffisant pour que je vous explique la situation et que l'on décide quoi faire.

- D'accord. Et on se réunit où ?

Jessie hésitait. L'endroit auquel elle songeait était parfait pour leur servir de "quartier général", et elle savait que la propriétaire des lieux l'aurait bien voulu. Mais elle avait peur d'y retourner. Il fallait pourtant se décider.

- Chez Lucie, murmura t-elle.

*      *      *

        Andrew se sentait complètement stupide, assis là à ne rien faire. Pourquoi était-il revenu ? Quel aide pouvait-il bien apporter à la jeune fille étendue dans le lit ? Il restait aussi immobile qu'elle, et ne disait rien. Que pouvait-il dire ? Après tout, il ne la connaissait pas. Il savait qu'elle avait été une amie d'Holly, et qu'elle était très proche à la fois de Jessie Wells et d'Angel. Mais ils ne s'étaient jamais vraiment rencontrés. Le seul lien qui existait entre eux était leurs amis communs. Voilà de quoi il pouvait lui parler. Il se résigna au dernier moment. Il n'en avait pas le courage. Il ne voulait pas tellement s'attacher à Lucie Anderson, même si c'était sans doute trop tard. Parce que les personnes auxquelles il s'attachait finissaient par s'en aller d'une manière ou d'une autre... Sa femme qui avait demandé le divorce, Holly qui s'était fait abattre, Tania qui se cachait loin de New York... Il se remémora une autre perte, bien plus ancienne mais toujours douloureuse. Un décès qui resterait en lui telle une blessure qui ne cicatrisait pas. Repenser à cet événement de sa vie le fit songer à Ed. Il s'en voulut de lui avoir parlé comme il l'avait fait. Bien sûr, il ne considérait pas, ou plutôt ne considérait plus Eddie comme un ami, mais il avait tout de même une dette envers lui... Il fut interrompu dans ses pensées par le son du moniteur cardiaque. Les sons que l'appareil émettaient s'espaçaient. Le cœur de Lucie était en train de ralentir. Il n'allait pas attendre qu'une sonnerie se déclenche ou que la courbe devienne une ligne droite.
Andy sortit précipatamment de la chambre et héla un médecin. Celui-ci examina rapidement la jeune fille avant de diagnostiquer une hémorragie interne. Il fit venir deux infirmiers. Au moment où ces derniers sortaient Lucie de la chambre pour l'amener en salle d'opération, une femme à la peau et aux yeux noirs entra.

- Qu'est-ce qui se passe ? demanda t-elle au médecin, la panique transparaissant dans sa voix chaude.

- Vous êtes de la famille ?

- Je suis sa mère, répondit la femme sans hésitation.

Le médecin -Matt Williams d'après son badge- cilla, mais répondit finalement :

- Elle est en train de faire une hémorragie interne.

- Elle va mourir ?

- Je n'en sais rien, soupira l'homme avant de rejoindre ses collègues.

Lisa se retrouva seule avec un homme aux vêtements chiffonnés qu'elle ne connaissait pas. Il lui adressa un faible sourire avant de lui demander :

- Je vous offre un café ?

La mixture brunâtre que servait la cafétéria de l'hôpital ne méritait même pas l'appellation de café, mais Andy avait connu pire. Ce qui ne devait pas être le cas de la femme en face de lui, à en juger par la grimace qu'elle faisait. Elle la dissimula bien vite pour lui faire un petit sourire d'excuse.

- Merci. C'est gentil.

- Il n'y a pas de quoi. Alors comme ça vous êtes la mère de Lucie ?

- Si l'on veut. Je m'appelle Lisa Phillips.

Andy l'identifia comme étant la mère du jeune homme venu le voir quelques jours auparavant. Ils avaient les mêmes yeux. Cette femme faisait donc partie de l'entourage de Jessie et Angel, mais que savait-elle exactement ? Tant qu'il serait incapable de répondre à cette question, il se garderait bien de lui dire qu'il connaissait son fils.

- Andrew Riker. Andy.

- Ravie de vous connaître Andy. Vous êtes un ami de Lucie ? demanda t-elle.

- Un ami peut-être pas. Je ne la connais pas réellement, mais nous avions une amie commune.

Lisa remarqua qu'il employait le passé mais jugea préférable de ne pas poser de questions à ce sujet. Les yeux de cet homme avaient l'air si tristes à l'évocation de cette personne...

- C'est moi qui été chargé de l'enquête pour retrouver l'agresseur de Lucie, expliqua Andy. Je suis inspecteur de police.

- On m'a dit que l'homme qui l'avait blessé s'était enfui. En fait je ne sais pas ce qui s'est passé exactement. Vous pouvez m'expliquer ?

Contrairement à Lucie, Lisa Phillips ne connaissait pas l'existence des Daerens. Andrew devait-il lui dire pourquoi la jeune fille s'était retrouvée dans cet hôtel, lui raconter toute l'histoire ? De toute façon ce n'était pas le moment. Mais il devrait parler de ça aux adolescents. Cette femme pouvait légitimement lui poser des questions, et il fallait que leurs réponses coïncident.
L'intervention d'un infirmier, qui les avait rejoints, le sauva in-extremis.

- Nous avons ramené Lucie dans sa chambre, si vous voulez la voir.

- Je vous accompagne ? demanda Andy à Lisa.

- S'il vous plaît.

Ils prirent l'ascenseur jusqu'au niveau inférieur.

- Vous êtes de la famille ? intervint le médecin en s'adressant à Andy.

- Non, répondit-il.

- Dans ce cas, Mme Philips, puis-je vous parler en privé ?

- Je vous laisse, fit Andy. J'ai encore du travail. Mais j'ai été très content de faire votre connaissance. Au revoir.

- Au revoir, répondit Lisa.

Lorsqu'ils furent seuls, Williams se racla la gorge.

- Nous avons stoppé l'hémorragie, son état est stable maintenant. Mais si on se base sur ce qui vient de se passer, il parait de plus en plus improbable que votre... fille ne récupère un jour. Puisque c'est vous qui l'avez ensuite recueillie et prise en charge, il me semble normal que la décision vous incombe.

- Quelle décision ? demanda Lisa.

- Et bien, fit le médecin, gêné, celle de débrancher Lucie.

Lisa aurait voulu avoir mal compris, mais c'était très clair. Ils voulaient "débrancher" Lucie. Débrancher... c'était la machine que l'on débranchait, pas l'humain. Lucie n'était pas une machine, mais si elle respirait de manière artificielle. Elle restait un humain, non ? Comment pouvaient-ils songer à... l'euthanasier ? D'ailleurs...

- Je pensais que la loi fédérale des Etats Unis interdisait l'euthanasie.

- C'est vrai, confirma Williams, mais depuis avril 1996, le tribunal fédéral d'appel de New York a autorisé l'euthanasie médicale.

- Elle n'est pas morte cérébralement. Elle pense. Elle vit.

- Nous le savons. Mais beaucoup de gens dans cet état préféreraient mourir. Est-ce que votre fille avait un jour évoqué si elle souhaitait être maintenue artificiellement en vie ?

- Non !

Voyant qu'elle ne pourrait répondre dans l'immédiat, Williams partit, laissant Lisa désemparée.
Non, Lucie ne lui avait jamais exposé son souhait ou non de vivre de la sorte. Pourquoi l'aurait-elle fait ? Lucie vivait dans le présent et préférait profiter de chaque instant de la vie plutôt que de s'angoisser sur une mort hypothétique. Jamais elle ne lui avait fait part de ses souhaits post-mortem ou de son opinion quant à la "vie artificielle". Comment aurait-elle pu savoir qu'elle se retrouverait dans cette situation ? Ce que Lisa craignait le plus, c'était de prendre la décision contraire à ce que Lucie aurait souhaité. Elle se mis à sa place. Aurait-elle voulu que l'on la laisse mourir en paix ? Ou aurait-elle choisi de se battre ? Mais se battre lorsque l'on sait que la guerre est d'avance perdue...

- Aide moi, dit-elle à l'intention de sa fille immobile. Dis moi ce que tu veux que je fasse.

Si elle avait regardé le monitoring au bon moment, Lisa aurait pu voir les battements de cœur de Lucie s'accélérer imperceptiblement, puis reprendre leur rythme normal au bout de quelques secondes...

 

*      *      *

        Jessie sentit son estomac se nouer tandis qu'elle faisait tourner la clef dans la serrure. Elle n'avait pas l'impression d'entrer par effraction, mais presque de profaner une tombe. Elle rassembla tout son courage pour ouvrir la porte et entrer. Elle fut frappée par le silence. A l'ordinaire, Lucie mettait toujours de la musique dans son appartement. Les autres, juste derrière elle, ressentaient aussi une sorte de malaise. Jess referma la porte et ils s'installèrent à même le sol. Ils ne voulaient rien déranger. Ils s'étaient toujours sentit bien ici, comme chez eux. Mais sans la personne qui rendait cet endroit si accueillant, il leur semblait lugubre. Les quatre amis attendaient David, repartit brièvement chez lui afin de savoir si sa mère lui avait laissé un message. Il revint au bout de quelques minutes mais son arrivée ne brisa pas le silence. Ce fut Sébastien qui entama la conversation.

- Alors, de quoi s'agit-il cette fois ?

Jess leur expliqua du mieux qu'elle pouvait cet étrange attrait que la fenêtre avait exercé sur elle et sa vision.

- Pour résumer, je pense que cette personne va se suicider. Seulement, si elle m'a "contacté", c'est bien qu'au fond d'elle, elle espère que quelqu'un l'en empêchera.

- Cette personne veut mourir mais ne veut pas vraiment mourir ?

- Les phases doivent provenir de l'inconscient des gens, expliqua Angel. Votre inconscient a beaucoup de mal à communiquer avec votre conscient.

- D'accord. Comment on le retrouve celui-là ? interrogea David.

Angel se détendit complètement pour mieux se souvenir des brèves images qu'elle avait pu voir. Il y avait un bureau, assez grand. Une plaque dorée était posée dessus, et une inscription y était gravée mais elle ne pouvait pas bien la lire. Elle se concentra sur les autres flashs et se rendit compte que la pièce était à un étage très haut d'un gratte-ciel. Sans doute dans le quartier des affaires. Elle vit également la fameuse fenêtre. Celle-ci donnait sur la ville et était fermée. Elle s'ouvrit sur un ciel couleur noire. La nuit. Ce qui signifiait que la personne ne sauterait pas en pleine journée, devant ses collègues. Elle voulait être seule. Angel revint à l'inscription, affina son esprit et parvint à la déchiffrer. C'était un nom.

- Eric Wiseman. Il s'appelle Eric Wiseman, il travaille dans un grand building et c'est de la fenêtre de son bureau qu'il compte sauter. Cette nuit.

- Pas mal du tout, siffla Diana, admirative. Avec son nom, ça sera beaucoup plus facile que la dernière fois.

- Et puisque rien ne se passera avant la nuit, nous avons un peu de temps devant nous. Si vous voulez toujours aller au débat...

- Oui, c'est important, fit David.

Le jeune homme était encore sous le coup de ce qu'il venait d'apprendre. Chez lui, il y avait bien un message de Lisa qui l'attendait sur le répondeur téléphonique. Elle expliquait que le corps médical lui avait proposé de "débrancher" Lucie. Et elle ne voulait prendre aucune décision sans l'avis de toute la famille de la jeune femme. Donc lui et ses amis. Il devait le leur dire, mais ce n'était pas le moment. Il pensait que le débat les aiderait peut-être à prendre la bonne décision.

- Ce sera terminé vers sept heures, nous aurons assez de temps pour retrouver ce type.

- Comment on fera au fait ?

- Vous irez demander de l'aide à Riker, répondit Jessie. La police a de nombreuses informations.

- Qu'est-ce qui te fait croire que ton Wiseman a un casier ?

- Rien, ce n'est pas nécessaire. Je ne pense pas aux fichiers même de la police. Mais ils ont accès à toute sorte d'archives. Vous devriez facilement trouver.

- Et toi, qu'est-ce que tu feras ? demanda Sebastien, remarquant que Jess ne s'incluait pas dans ces projets.

-Angel et moi avons quelque chose d'autre à faire.

Si la Daeren avait accepté d'aider Jess à contrôler son esprit de sorte à ce qu'elle puisse contacter Lucie, elle préférait néanmoins que son hôte commence par des choses plus simples, comme la maîtrise du sommeil. C'est pourquoi elles comptaient toutes les deux trouver de la documentation sur le sujet.

- On devrait y aller, les prévint Diana en regardant sa montre.

Lorsque Jess claqua la porte de l'appartement vide pour la refermer, le bruit résonna longtemps dans sa tête.

 

*      *      *

Ils retournèrent assez rapidement vers le lycée pour y avoir une désagréable surprise : le débat se déroulait aujourd'hui à la cantine. Cantine qui visiblement n'avait pas été nettoyée. Le groupe se mit à la recherche de sièges relativement propres et Willis et Barnett entrèrent. Il ne devait pas y avoir plus de quarante ou cinquante élèves dans la salle, mais tous semblaient intéressés, ce qui n'était pas plus mal.

- Tout d'abord merci d'être venu, commença le professeur Barnett. Vous et moi savons très bien que ces discussions plus ou moins animées ont été mises en place plus dans l'intérêt du principal que le vôtre mais...

Il s'interrompit une seconde et regarda derrière son épaule comme pour s'assurer que Turner n'était pas là, ce qui fit naître quelques rires dans la salle.

-.... mais nous avons toujours essayé de rendre cela intéressant. Le sujet d'aujourd'hui est assez délicat, puisqu'il s'agit de définir si nous sommes pour ou contre l'avortement, et l'euthanasie.

Les discussions partaient déjà ça et là et les lycéens parlaient en petits groupes de leurs tables. Al soupira. L'organisation n'avait jamais été son truc. Jack prit la parole.

- Heu, commençons par ce qu'il y a de plus simple : qui est pour, et qui est contre.

Il remarqua que toutes les mains ne se levaient pas.

- Il y en a donc qui ne sont ni pour ni contre ?

- Tout dépend des circonstances, fit une voix.

C'était celle de David.

- Tu peux expliquer ? lui demanda Barnett.

- L'avortement ne doit pas se faire dans n'importe quelles circonstances. Ce ne doit pas être une solution de secours pour un couple qui n'a pas pris ses précautions. Mais dans le cas d'une femme violée, on peut comprendre qu'elle ne veuille pas garder son enfant.

- Comprendre ? intervint un jeune garçon nommé Tim de l'autre coté de la salle. Non, quelque soit le cas, le père ou la mère. On n'a pas le droit de tuer un être humain.

- Mais ce n'est pas encore un être humain, fit un autre élève.

- Ah bon ?

Al Barnett trouvait que le sujet méritait développement.

- Il devient de plus en plus difficile de définir l'être humain. Est-ce qu'un fœtus est un être humain ? Qu'est-ce qui peut tendre à penser que c'est où non le cas ?

- Le fait qu'il pense, répondit Tim.

- Je pense donc je suis, c'est ça ? devina Jack Willis.

- C'est exactement ça. Et je crois qu'à partir du moment où le cerveau est formé, un fœtus pense non ?

- Peut-être, peut-être pas.

- Alors dans le doute, on ne doit pas s'autoriser à les tuer.

- Ce n'est pas aussi simple, fit David en secourant la tête.

- Au contraire, c'est très simple, affirma Tim. Personne n'a le droit de disposer d'une vie humaine.

Nathalie Mandylor, une élève de Terminale qui avait la réputation d'être discrète et renfermée prit la parole.

- Il y a tout de même une vie dont nous pouvons disposer.

Et comme seule le silence lui répondait, elle expliqua :

- La nôtre.

Jess la regarda, étonnée. Nathalie venait d'aborder le concept du suicide, et ce parallèle avec la situation d'Eric Wisemen la troubla. Est-ce que la jeune fille pensait au suicide ? Est-ce qu'elle songeait à se suicider ?
Nathalie croisa le regard de Jessie, et pendant un moment le sien se fit effrayé. Elle détourna la tête et enchaîna rapidement.

- Je veux dire qu'en ce qui concerne l'euthanasie, les gens ont le droit de choisir s'ils veulent ou non mourir.

- Mais quand ils ne peuvent pas décider ? demanda Tim. On ne peut pas choisir pour eux.

- Pourtant c'est ce qu'on devrait faire. Parce que certains souffrent, inutilement.

- Jamais je ne prendrai la responsabilité de tuer quelqu'un.

Afin d'éviter que le débat ne se résume qu'à un dialogue entre deux élèves, aussi intéressant soit-il, Al et Jack posèrent d'autres questions. Mais les autres ne l'écoutaient plus vraiment et Nathalie continuait de parler en ne semblant s'adresser qu'à Tim.

- Même si ce quelqu'un te le demande ?  Tu n'abrégerais pas les souffrances d'une personne qui t'est chère ?

- Justement parce que je tiens à cette personne, non.

David les écoutait attentivement sans parvenir à déterminer lequel des deux avait, du moins selon lui, raison. Aider quelqu'un que l'on aimait à se donner la mort était horriblement difficile. Mais c'était parce qu'on les aimait qu'il fallait parfois le faire. Penser à eux avant de penser à soi.

- Nous avons tous le droit de vivre.

- Et nous avons tous celui de mourir, conclut Nathalie.

De nouveau, ses paroles avaient amené le silence. Jess était décidément intiguée par les dires de la lycéenne. Mais quand elle y réfléchissait, elle trouvait qu'elle avait raison. Chacun était libre de faire ce qu'il voulait de sa vie.

- Dans certaines mesures, rectifia Angel.

- C'est à dire ?

- Notre liberté s'arrête où commence celle des autres.

La tension finit par se dissiper et les discussions reprirent. Puis leur professeur de sciences naturelles annonça qu'il était l'heure de partir. Malgré ce qui s'était dit, David ne pouvait toujours pas décider de ce qu'ils devaient faire par rapport à Lucie. Avant tout, il devait en parler aux autres. Mais ils s'apprétaient à se séparer. Mieux valait attendre qu'ils soient tous ensemble.
Pendant qu'ils feraient les recherches, Jess arpentrait les libraires en quête de livres sur les transes. Mais elle allait manquer de temps. Si elle ne savait pas où chercher précisément, il ferait nuit avant qu'elle n'obtienne des résultats.

- Lauren ? Tu peux venir avec moi ? Vous serez assez de trois pour faire les recherches non ?

- Sans problèmes, assura Diana. A tout à l'heure.

Tandis qu'elle partait avec les garçons, Lauren resta avec Jess.

- Tu as besoin de moi ? Pourquoi ?

- Si je me souviens bien, il n'est pas une librairie de cette ville que tu ne connaisses pas non ?

 

*      *      *

        C'était le mot "débrancher" qui avait fait réagir Lucie. Car, elle ignorait comment, elle parvenait à entendre ce qui se disait autour d'elle. Oh, pas tout le temps. Juste en quelques rares occasions. Mais là, elle avait pu le faire, et comprit que Lisa devait décider ou non de la maintenir en vie.
Même si elle avait peur, une partie de Lucie était soulagée que la question soit enfin abordée. Parce quelque part, elle savait qu'elle ne pourrait pas revenir. Jess l'espérait de toutes ses forces, et cet espoir l'aidait à s'accrocher. Mais était-ce suffisant ? Elle souffrait, mentalement de ne pouvoir parler avec sa famille, de ne pouvoir les aider, et physiquement aussi. Lorsqu'elle replongeait dans les ténèbres, elle se sentait parfois si mal qu'elle aurait voulu que tout s'arrête. La douleur était lancinante, revenant à chaque fois de façon plus intense. Elle ne voulait plus souffrir. Elle pouvait cesser de lutter et se laisser entraîner vers le niveau six. Qu'y avait-il là-bas ? Sa famille biologique peut-être. Son frère aîné, Marc, et ses parents. Ils lui manquaient. Peut-être pouvait-elle les revoir....
Mais elle avait une autre famille, et eux aussi lui manquaient. Seulement, elle avait nettement moins de chance de les revoir.
Tout était si compliqué.... Elle ne pouvait pas choisir entre l'une de ses deux familles. Elle voulait se battre contre ses ténèbres, mais elle craignait de passer son existence à mener une bataille qu'elle ne gagnerait jamais. Sa seule lueur d'espoir, c'était Jess. Car si elle n'avait pas rêvé, sa petite soeur avait bien réussi à la voir et à lui parler. Peut-être que, même en restant dans le coma, elle serait capable de communiquer avec Jess. Ce qui serait une raison suffisante pour ne pas abandonner. Mais elle se rappela que si cela avait été possible, c'était parce que la jeune fille était elle-même inconsciente. Pour rien au monde elle ne voulait la mettre en danger.
- Aide-moi, dis moi ce que tu veux que je fasse, lui demanda Lisa.
Le cœur de Lucie en fit un bon. Elle était au supplice. Oh Lisa, comment veux tu que je te le dise ? Moi-même j'ignore ce que je veux. Je ne veux pas avoir à choisir. Je voudrais revenir vers vous, mais si c'était impossible ?
Elle avait mal, tellement mal... Si elle mourrait, elle n'aurait plus mal. Et ne reverrait plus jamais les personnes qu'elle aimait. Les visages de tous ses proches défilèrent devant elle, mais aucun ne lui soufflait la bonne décision. C'était à elle seule de faire le choix. Pas tout à fait en réalité. C'était à Lisa et aux médecins de décider s'ils la laissaient vivre. Alors en attendant qu'ils prennent leur décision, elle lutterait. Elle s'en fit la promesse, et le promit silencieusement à Lisa, toujours assise auprès d'elle.
- Je reste, murmura t-elle en sachant qu'elle ne serait pas entendue. Je ne vous laisserai pas.

 

*      *      *

          David et Sébastien espéraient ne pas devenir des habitués du commissariat. D'abord parce que la fumée de ces centaines de cigarettes leur donnait mal à la tête, ensuite parce que devoir faire appel à la police ne signifiait pas que tout allait bien dans votre vie. Cette fois-ci, ils venaient juste pour des recherches mais qui sait ce qui les pousserait à revenir la prochaine fois...
Diana n'était pas encore venue et était impatiente de rencontrer Riker. Il était rassurant de penser qu'il y avait un adulte qui ait connaissance de tout ça et qui soit en mesure de les aider. En tant que policier, il avait un certain pouvoir, une certaine influence. Il avait bien pu aider Tania. Et d'après ce que Lauren lui en avait dit, Andrew Riker semblait être un type bien.
Ils entrèrent tous trois dans le bureau de l'inspecteur. Ils l'avaient appelé précédemment et accepté de leur laisser utiliser ses bases de données. Il aurait bien fait le travail lui-même s'il en avait eu le temps. Il devait s'occuper de l'affaire Devon Granger. Il pouvait en parler aux amis de Jessie mais préférait lui demander en personne si elle voulait bien l'aider à obtenir des renseignement du dealer.
David présenta Andy à Diana comme il l'aurait fait avec un de ses amis proches. Le policier apprécia en silence cette petite marque d'amitié. Il serra la main de la jeune fille.

- J'ai une bonne nouvelle pour vous, annonça t-il aux trois jeunes gens. On a pu coincer votre dealer.

- Génial. Et... qu'est-ce qui va se passer pour lui ?

- Pour l'instant il est en garde à vue pour possession illicite de stupéfiant. On espère lui faire dénoncer son revendeur.

- Mais il sera condamné, lui, n'est-ce pas ?

Andy comprit que le jeune homme faisait allusion à Miguel Vasquèz, l'homme qui avait tiré sur Lucie et qui avait pu échapper à sa condamnation en prenant la fuite.

- Oui, répondit-il en se demandant si c'était la vérité. Ne vous inquiétez pas.

Il enchaîna rapidement sur le fonctionnement de son ordinateur, désireux de ne pas s'étendre sur le sujet. Puis il s'apprêta à sortir, assurant les adolescents que personne ne viendrait les surprendre dans son bureau. En théorie.

- Super. Comme ça on peut être certains de ne pas avoir d'ennuis, fit Diana.

Riker haussa un sourcil à sa remarque, mais comme elle avait parfaitement raison, ne dit rien. Il ferma la porte derrière lui. Sebastien soupira. Leur amie ne changerait jamais.

- Pourquoi te sens-tu obligée de dire à haute voix tout ce que tu penses ?

- Que peux-tu bien penser pour ne pas oser le dire à haute voix ? répliqua Diana.

David sourit. Depuis le temps qu'il connaissait Diana, il en était venu à apprécier cette franchise incroyable qui la caractérisait. Et puis il en connaissait la principale source : la famille de la jeune fille. Ce n'était pas que ses parents l'avaient mal élevée, en vérité, on aurait presque pu dire qu'ils ne l'avaient pas élevée. Ils n'étaient quasiment jamais là. Diana s'était auto-éduquée, et son meilleur ami trouvait qu'elle s'en était très bien sortie.

- Ca ne devrait pas nous prendre des heures, dit-il aux deux autres. Heu... c'est quoi déjà le nom ?

- Eric Wiseman, fit Diana en tapant le nom dans la zone de recherche. Et il y en a exactement.... deux cent vingt et un dans cette ville.

- Oh, si l'on prend en compte le fait que la population new-yorkaise se monte à sept millions trois cent milles habitants, on s'en sort plutôt bien, relativisa Seb.

- C'est une façon de voir les choses, admit son ami. On peut réduire ce nombre ?

- Oui, l'assura Diana. D'abord, si vous le voulez bien, on ne va pas s'intéresser à ceux dont l'âge n'excède pas dix-huit ans ou dépasse soixante. Puisqu'il a un travail, expliqua t-elle aux garçons, il doit aussi avoir l'âge de travailler. Et cette logique nous laisse cent quatre candidats.

- C'est mieux, mais encore trop large, commenta David.

- Mais je suis ouverte à toutes vos suggestions.

- Eliminent ceux qui ne travaillent pas, proposa Sebastien. Il doit bien y en avoir quelques uns. Ensuite tu vois par catégorie de boulot. S'il bosse dans un building et a son propre bureau, il n'est pas nettoyeur de carreaux.

En suivant cette méthode d'élimination, il ne leur fallut qu'une vingtaine de minutes pour trouver Eric Wiseman et son lieu de travail. Ils pouvaient donc rentrer à l'appartement pour y attendre leurs amis.

- On s'est débrouillé comme des chefs. Et il est bon de savoir que nous avons de telles ressources à notre disposition.

- Je ne suis pas certain que venir régulièrement dans le bureau de Riker soit une bonne idée. On finirait par se faire remarquer, et c'est bien la dernière chose dont nous ayons besoin.

A ce moment là, Andy rentra, les faisant sursauter.

- Vous avez trouvé ? demanda t-il.

- Oui.

- O. K. Si vous avez cinq minutes, il y a quelque chose dont j'aimerais vous parler. J'ai rencontré Lisa Phillips aujourd'hui.

- Où ? interrogea David.

- A l'hôpital. Je suis passé voir votre amie.

Décidément, Diana trouvait cet homme touchant. Et triste aussi. Elle le voyait dans son regard. Même quand il esquissait un sourire, ses yeux restaient tristes.

- J'ai dit à Mme Phillips que j'étais l'inspecteur qui avait été chargé de l'enquête à propos de l'agression de Lucie. Et j'aimerais savoir ce dont, selon vous, je peux lui parler.

C'était vraiment sympa de sa part de se soucier ainsi de Lisa, et d'eux. Cela amenait David à se poser une question essentielle, la même que Riker en fait. Que pouvait-il dire à sa mère ? Il lui faisait confiance, mais ne voulait pas la mêler à toute cette histoire. Et puis Lisa n'avait jamais eu besoin de Daerens pour aider les autres, ou pour ouvrir les yeux. Elle était née avec les yeux grands ouverts.

*      *      *

        Jess n'avait jamais mit les pieds dans cette boutique. Malgré la passion commune qu'elle et Lauren entretenaient
pour les livres, elle trouvait habituellement son bonheur dans les rayons appropriés des grandes surfaces ou les petites librairies de quartier. Mais elle devait admettre que son amie avait raison : il y avait vraiment de tout ici. Elles devaient pouvoir y trouver le livre voulu. Le vendeur était un homme de taille moyenne aux cheveux bruns parsemés de mèches plus claires. Il bavarda quelques instants avec les deux jeunes filles et leur conseilla d'aller chercher dans la pièce de derrière, où il entreposait les livres les moins vendus.

- Qu'est-ce qu'on cherche exactement ? demanda Lauren à Jess quand elles furent seules.

- Quelque chose sur les transes méditatives, ou le contrôle du sommeil.

- Tu penses mieux gérer les phases ainsi ?

- Sans doute, répondit Jess, se sentant coupable de lui cacher une partie de la vérité. Et peut-être obtenir plus vite les informations nécessaires pour identifier ceux qui m'appellent.

- Je ne comprends pas. Pour ce qui est du contrôle de l'esprit, tu as le meilleur professeur qui soit. Pourquoi chercher les réponses dans un livre ?

- Parce que, répondit Angel que Lauren identifia à sa voix légèrement plus claire, je ne suis plus certaine de ce que je sais. Je peux effectivement me mettre en transe, mais je ne veux pas le faire avec Jessie tout de suite. Elle ne l'a jamais fait, ce serait risqué. Et puisque nous ne fonctionnons pas vraiment de la même façon, j'aime autant qu'elle apprenne avec les méthodes des humains. Du moins au début.

Lauren comprenait. A cause de son amnésie et des conséquences du mauvais transfert, Angel perdait toute confiance en ses actes.
Au bout de près d'un quart d'heure, les deux amies comprirent qu'elles ne trouveraient pas. Elles revinrent dans la pièce principale et cherchèrent parmis les autres étagères. De derrière ces meubles, une conversation leur parvenait par bribes. Sans doute un autre client qui était rentré pendant qu'elles regardaient dans l'arrière boutique. Lauren et Jess n'y auraient prêté aucune intention si elles n'avaient pas entendu cette petite phrase.

- Qu'est-ce que c'est que... Range ça, où j'appelle les flics.

Prudemment, elles déplacèrent quelques objets pour observer la scène. Un homme dont l'âge devait se situer entre trente et quarante ans avait sorti de sa poche un grand couteau à cran d'arrêt et en avait fait jaillir la lame, qu'il approchait dangereusement du vendeur. Jess et Angel sentirent qu'il allait le tuer, pensant sans doute être seul avec sa victime dans le magasin. Elles ne pouvaient pas le laisser faire ça. Lauren avait elle aussi saisi la situation. Elle communiqua par gestes brefs à Jess son idée : prendre le type en sandwich. A elles deux, sans compter Angel, elles pouvaient peut-être le neutraliser.
Jess trouvait ça risqué, mais elles n'avaient pas vraiment le choix. Elles partirent dans deux directions opposées. Grâce au labyrinthe de bibliothèques, elles espéraient pouvoir atteindre l'agresseur sans être vues. Mais voyant qu'il allait en finir, Lauren n'eut d'autre choix que de laisser tomber la discrétion pour courir et se jeter sur l'homme armé. Pris par surprise, il n'opposa pas de résistance et roula sur le sol. Mais il ne lâcha pas son arme. Jess les rejoignit alors que l'homme se relevait le premier. A la vue du couteau dans sa main, Lauren recula de quelques pas, tandis que Jess s'adossait au comptoir, entre le vendeur et son agresseur.

- Du calme, murmura t-elle. Je crois que nous pouvons vous aider.

- Attention, la prévint mentalement Angel. Ce n'est pas une personne à laquelle tu es connectée et qui veut que tu l'aides. Il est armé, et pas précisément apte à accepter ton aide.

C'était exact. Cet homme ne l'avait pas "appelée", et elle n'était pas là pour le remettre sur le droit chemin. Si elle se tenait en face de lui, c'était bien par hasard, non ? Il la fixa de ses yeux bleus et pointa sa lame sur elle. Jess inspira profondément pour garder son sang-froid.

- J'apprécierai vraiment que vous ne me tuiez pas, prononça t-elle.

- Ce n'est pas vous que je veux tuer.

- D'accord, je vais reformuler ma phrase.

Elle avait de plus en plus de mal à empêcher sa voix de trembler. Mais s'il voyait qu'elle avait peur de lui, elle perdrait toute crédibilité. Elle laissa donc la conscience d'Angel envahir totalement la sienne, lui prêtant son calme olympien.

- J'apprécierai vraiment que vous abandonniez l'idée de tuer quelqu'un.

- Ce sont mes affaires, répondit-il froidement.

- Ah oui ? C'est votre vie que vous vous apprêtez à achever à coups de poignard ? Je ne le crois pas.

- Silence !

Il avait crié sans prévenir, faisant sursauter Jess ainsi que les deux autres personnes présentes dans la pièce.

- Silence, redit-il moins brusquement. Il faut que je réfléchisse.

- Ecoutez, intervint Lauren, la meilleure solution c'est encore de ranger cette arme. Si vous nous tuez, ce ne seront pas uniquement nos vies que vous anéantirez. C'est aussi la votre.

Gardant toujours l'extrémité tranchante de son arme pointée sur Jess, il se retourna pour faire face à la seconde jeune fille. Qui étaient-elles ? Des étudiantes en psychologie ou juste des gamines à tendance suicidaire ? C'était lui qui avait l'arme, donc il était le maître de la situation, non ?
Tout en douceur, Angel insinua sa conscience dans l'esprit de l'homme, essayant d'envoyer un message de paix, d'apaisement. Une sorte de prise de conscience : "Vous n'avez pas le droit de décider qui doit vivre ou mourir". Cela semblait fonctionner, les traits de l'agresseur se détendirent.
Il sentait que quelque chose de bizarre se produisait. Il secoua la tête de droite à gauche comme pour en chasser quelque chose de gênant. Il resserra sa main sur son cran d'arrêt.

- Elle a raison, appuya Jess qui sentait que la tentative de manipulation d'Angel ne faisait plus effet. Alors rangez ce couteau, et reprenons le cours de nos vies, qu'est-ce que vous en pensez ?

Elles devaient changer de tactique. Comme Jess achevait sa phrase, Angel se concentra, ouvrit son esprit et exerça une infime pression sur la lame, qui regagna le manche. Surpris, l'homme aux yeux bleus lâcha le couteau, que les réflexes de la jeune Daeren lui permirent de récupérer avant même qu'il ne touche le sol.

- Qu'est-ce que....

Mais il ne prit pas le temps de se poser vraiment la question. Il fit volte-face, frappa de toutes ses forces Lauren, qui était entre lui et la porte de secours. La jeune fille alla percuter une des grandes étagères qui déséquilibrée par l'impact, retomba sur elle avec son contenu hétéroclite. Lauren s'écroula inanimée sur le sol tandis que leur agresseur prenait la fuite. Ni le vendeur ni Jess ne le poursuivirent, jugeant plus urgent d'aider la jeune fille. S'aidant de ses capacités télékinésiques, Angel écarta la bibliothèque. Lauren ne bougeait plus.
Angel se concentra sur son amie allongée sur le sol, tendit sa main vers elle mais sans la toucher, sachant qu'il n'était pas conseillé de déplacer un blessé, et se mit en phase avec elle. Son empathie fonctionnait aussi sur la douleur physique, et elle établit de la sorte un rapide diagnostic : mis à part une sérieuse contusion à l'épaule gauche et une légère entaille à l'arcade sourcilière, Lauren n'avait rien de grave et était juste sonnée. Déjà elle revenait à elle.

- Ca va ? s'enquit l'ange.

- Oui... Où est-il allé ?

- Je n'en sais rien.

Elle aida son amie à se relever en prenant soin de ne pas toucher son épaule blessée et s'adressa au vendeur.

- Vous voulez que nous allions déposer une plainte au commissariat ?

- Ce ne sera pas nécessaire, répondit-il précipitamment. Merci de votre aide.

Jess et Lauren échangèrent un regard. Ce type avait tutoyé son agresseur, qui n'était pas venu pour le voler mais bien pour le tuer. Et il refusait d'aller déclarer cet "incident" à la police. Il paraissait évident qu'il n'était pas net. Elles ne pouvaient rien prouver ni même rien faire pour l'instant. Mais elles reviendraient.

 

*      *      *

        Ils s'étaient tous retrouvés chez Lucie afin de relater leurs découvertes respectives et tout mettre au point. Leur conversation avec Riker ne s'était pas trop éternisée, mais ils avaient dit l'essentiel. David avait les clefs de l'appartement, lui, Diana et Sebastien attendaient leurs amies depuis une dizaine de minutes.
Finalement, la porte s'ouvrit pour laisser entrer Jess et Lauren.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? s'enquit Diana inquiète à la vue de la plaie sur le visage de sa petite amie.

Jess et Lauren leur firent le récit de leur bagarre contre l'homme au couteau. Diana les écouta sans les interrompre mais ne put bien évidement pas s'empêcher lorsqu'elles eurent fini de donner son avis sans le moindre détour.

- C'était courageux Lauren. Courageux mais complètement dingue. Tu aurais pu te faire tuer. Je ne vais plus te laisser aller nulle part sans moi.

- D'accord maman, la taquina gentiment Lauren, préférant dédramatiser la situation.

Au fond, elle était plutôt touchée que Diana se soit inquiétée. Celle-ci lui fit un petit sourire. A moitié rassurée seulement, elle prit Lauren dans ses bras. Cette dernière se mordit les lèvres pour retenir un cri de douleur quand Diana bougea son épaule. Mais la souffrance disparaissait vite lorsque l'on était dans les bras de la personne que l'on aime.

- Puisque vous êtes tous là, intervint David, il faut que je vous parle à tous de quelque chose. Quelque chose qui n'est pas facile à entendre.

Jess comprit immédiatement. David les fit tous s'asseoir, et commença.

- Voilà, c'est à propos de Lucie, et de ce qu'il advient de faire pour elle. Elle n'a peut-être plus de famille liée à elle par le sang. Mais nous sommes sa famille, et c'est à nous que revient la tâche de décider s'il faut oui ou non maintenir Lucie en vie.

- Je ne comprends même pas comment tu peux poser la question, luit dit Diana avec son habituelle franchise. Comment peux-tu suggérer qu'il faille la laisser mourir ?

- Parce qu'elle est dans un coma de stade 3, que ses chances de se réveiller sont quasi-nulles et que Lucie ne voudrait pas passer toute sa vie allongée inerte dans un lit d'hôpital.

Il s'en voulut d'avoir dit les choses avec cette dureté, mais il n'avait pu se retenir. Il était aussi déchiré qu'eux par la décision à prendre, et savait que même si son avis partait d'une bonne intention, il serait mal pris par les autres.

- Ce n'est pas comme si on maintenait en vie un corps vide. Les médecins nous ont dits qu'elle était bien vivante.

- Mais elle est toute seule dans le noir, peut-être même qu'elle a mal. Tu veux qu'elle subisse ça toute son existence ?

- Mais elle vit David.

- Elle vit ? demanda Sébastien. Ou elle survit ?

- Où est la différence ? fit Diana.

Ce fut Jess qui lui répondit, comprenant où Seb voulait en venir.

- Survivre, c'est rester en vie. C'est ce que fait Lucie. Vivre, c'est manger, boire et dormir. C'est se lever le matin pour attaquer une journée plus ou moins agréable, c'est faire des rencontres, des expériences. Vivre c'est aussi pouvoir sourire, chanter, profiter de cette vie qui n'est pas facile il est vrai, mais qui vaut tout de même la peine d'être vécue. Et c'est pour qu'elle puisse de nouveau connaître tout ça qu'il ne faut pas laisser Lucie mourir.

Elle se tourna vers Sebastien, et le regarda avec une détermination incroyable.

- Tu as raison, peut-être que Lucie ne vit pas vraiment en ce moment. Mais ce n'est pas pour autant qu'il faut lui enlever le droit de vivre de nouveau plus tard.

- Je suis d'accord, ajouta Diana.

David ne paraissait pas tellement convaincu. Lui aussi voulait laisser Lucie vivre, ce serait tellement plus facile pour eux. Mais ils devaient peut-être d'abord penser à elle...

- Les filles, les toubibs nous ont dits qu'elle risquait de ne pas se réveiller. Alors....

- Il y a quelque chose dont je ne vous ai pas parlé, le coupa Jess.

Le moment était venu de leur révéler sa courte entrevue avec Lucie, et son idée pour la contacter.

- Vous vous souvenez, il y a quelques temps, je me suis retrouvée reliée à Michael, ce jeune qui prenait de la drogue. Et bien, pendant que j'étais inconsciente j'ai.... j'ai vu Lucie.

Ils encaissèrent le choc, les questions affluant vers leurs esprits.

- Je ne vous en ai pas parlé, parce que je craignais que cette sorte de rencontre ne soit qu'une illusion. Je pensais, vu l'état dans lequel j'étais, que j'avais peut-être simplement déliré. Mais maintenant que nous devons choisir si Lucie doit vivre ou mourir, je sais que c'était réel. Je crois même pouvoir de nouveau communiquer avec elle.

- De quelle façon ?

Elle hésita. Elle devait leur parler des niveaux de l'inconscience, mais cela signifiait également tout leur dire à propos du Médiateur. Or pour toute action ou parole qui concernait cet être, elle ne pouvait être certaine de ce qu'il convenait de faire.

- En me mettant en transe, ou quelque chose qui s'en rapproche. Je ne sais pas le faire, mais Angel si. Elle peut facilement atteindre le second niveau de l'inconscience.

- Tu traduis ? demanda David d'un ton plutôt froid.

Jessie comprit qu'il lui en voulait de lui avoir de nouveau caché des choses. Mais s'il avait été confronté ne serait-ce qu'une fois au Médiateur, il comprendrait la peur qu'elle éprouvait ne serait-ce qu'à l'idée d'en parler. Peut-être que le moment était venu de leur dire. Angel approuva cette décision, et se proposa de leur expliquer.
Tous virent les yeux de leur amie changer distinctement de couleur. Angel. David se demanda combien de temps il lui faudrait pour saisir le fait que cette extraterrestre était en Jessie.

- Peu de temps après mon arrivée, commença la Daeren, Jessie et moi avons reçu la visite... psychique d'un homme, du moins en a t-il l'apparence, qui se fait appeler le Médiateur.

- Le Médiateur ?

- Parce qu'il n'est ni d'un coté, ni de l'autre. Ni au milieu. Les premières fois que nous l'avons vu, il a tenté, et avec succès je dois dire, de nous déstabiliser. La seconde, il nous a au contraire aidé, en nous donnant des informations sur les niveaux de l'inconscience.

Elle leur expliqua en détails, le premier niveau, celui de sommeil, le deuxième, celui de la perte de connaissance, et ainsi de suite. Puis elle raconta comment, lorsqu'elle et Jess étaient elle-même inconsciente, Lucie avait pu leur parler.

- C'est incroyable. Et... ça parait un peu stupide, mais comment elle va ?

- Pas très bien, fit tristement Jessie. Elle ne me l'a pas dit clairement, mais je le sentais bien. Je crois qui si je pouvais en quelque sorte descendre de façon contrôlée dans les différents niveaux, je pourrais de nouveau la voir.

- Tu viens de nous dire que plus on s'enfonçait, plus il était difficile de remonter.

- C'est vrai, admit Angel. L'entreprise est risquée. Mais lorsque nous avons vu Lucie, nous n'étions pas au niveau cinq. Lucie avait perçu la présence de Jess, et cela l'avait aidé à déplacer sa conscience jusqu'à un niveau intermédiaire.   Pas assez cependant pour sortir du coma.

Lauren avait saisi pourquoi Jess cherchait tout à l'heure des livres pour apprendre à se mettre en transe.

- Si j'ai bien saisi, Jess serait une sorte de lien entre Lucie et la "surface".

- Peut-être à cause du lien émotionnel très fort qui les unit, et aussi parce que Lucie a un esprit très fort.

- Tu espères donc ainsi ramener Lucie, conclut Sebastien.

- En fait, remarqua Angel, nous ignorons si cela est possible. Ce qui arrive aux gens dans le coma reste un mystère, même à votre niveau assez évolué de médecine. Peut-être que nous pourrons simplement communiquer. Mais peut-être aussi qu'il y a une chance, aussi infime soit-elle, que nous sortions Lucie du coma.

Le jeune asiatique hocha la tête, et les autres aussi acquiescèrent. A présent, leur décision était prise.

- La nuit ne va pas tarder à tomber, fit Jess. Vos recherches ont donné quoi ?

- Nous avons trouvé. Le bon building, et même l'étage où se trouve son bureau.

Jess prit note des informations et les remercia.

- Je vais m'en occuper. Vous devriez rentrer.

David voulut protester mais comprit au regard de son amie que cela aurait été inutile. Ils se séparèrent. Mais Angel et Jessie pouvaient sentir leurs esprits les accompagner.

 

*      *      *

        La nuit recouvrait entièrement l'immense tour, seule une petite lueur quelques dizaines de mètres plus haut arrivait à
percer l'obscurité. Jess et Angel comprirent que cette lumière provenait du bureau de Wiseman. La porte principale était ouverte. Logique. Pourquoi un homme qui s'apprêtait à en finir avec la vie se soucierait de fermer les portes à clef ? Elles entrèrent et sans attendre l'ascenseur, elles prirent les escaliers et grimpèrent les marches quatre à quatre, avec une vitesse qu'elles n'auraient pas cru possible d'atteindre. L'ascension dura tout de même quelques minutes. Elles parvinrent enfin à l'étage voulu et pénétrèrent dans le bureau vide de Wiseman. Par la fenêtre grande ouverte soufflait un vent de mauvaise augure...
La vue sur la ville était saisissante, mais ce que voyait Eric Wiseman en bas était la mort. Jess évitait de regarder le sol par crainte d'être aspirée par le vide. Elle se pencha par l'embrasure de la fenêtre en s'accrochant du mieux qu'elle pouvait au mur de briques.

- Donnez moi votre main, lui dit-elle en lui tendant la sienne.

- Non. Laissez moi jeune fille, partez avant de tomber.

- Je n'ai pas le droit de m'en aller.

Elle passa le rebord de la fenêtre et le rejoignit sur l'étroite corniche. En bas, quelques passants traînant dans les rues malgré l'heure tardive suivaient la scène, regroupés en cercle autour de l'immeuble tels des vautours.

- Qu'est-ce que vous faites ? cria Wiseman.

- Vous ne voulez pas venir, alors je viens, répondit Jess avec une assurance entièrement feinte.

La hauteur lui faisait effroyablement peur. Même Angel n'éprouvait aucune angoisse à se trouver plusieurs centaines de mètres au dessus du sol, sa quiétude ne suffisait pas à apaiser Jess. Avec mille précautions, elle avança, pas à pas jusqu'à Eric. Et s'asseya.

- Vous devriez faire comme moi, lui conseilla t-elle. C'est nettement moins effrayant, et on sera plus à l'aise pour parler.

- Pourquoi voudrais-je vous parler ?

- Et pourquoi ne le voudriez vous pas ? Si vous comptez réellement sauter de cet immeuble, vous avez bien cinq minutes pour me parler non ?

Il la regarda avec un mélange de colère et de tristesse. Finalement, il se laissa glisser tout doucement le long du mur, jusqu'à se retrouver en position assise, à coté de la jeune fille. Il se prit la tête dans les mains.

- Laissez moi tranquille.

Et maintenant ? Elle l'avait trouvé, était montée jusqu'ici et avait réussi à le faire s'asseoir. Mais si elle ne savait pas quoi lui dire, à quoi bon ? Elle n'était pas faite pour être un ange. Si elle ne parvenait pas à trouver les mots justes, cet homme sauterait, et quelque part ce serait de sa faute. Elle n'était pas encore prête à endosser ce genre de responsabilité.

- Ecoutez, commença t-elle. Vous ne pouvez pas faire ça. Vous... vous n'en avez pas le droit.

Elle avançait en terrain miné. Elle comprit que pour aider Wiseman, il fallait le connaître. Tandis que Jess continuait de lui parler, Angel tentait de se mettre de nouveau en phase avec lui.

- Qui êtes vous pour décider de qui doit vivre ou non ? cria t-il. Ce choix m'appartient

- N'a t'il pas raison ? demanda l'ange à l'humaine. On ne peut le laisser mourir. Mais avons nous le droit de décider ce qu'il doit faire de sa vie ?

C'était une question légitime. Plus tôt, lorsque ce type voulait tuer son copain dans la boutique, les choses avaient paradoxalement étaient plus simple. Il voulait ôter la vie à un autre, peut-être pas un saint, mais un humain tout de même. Il n'en avait pas le droit. Mais lui, seul en haut de son immeuble, n'avait-il pas le droit de décider de son destin, aussi funeste soit-il ? Seulement, cet homme ne désirait pas réellement mourir, sinon il ne l'aurait pas appelée.

- Vous avez raison Mr Wiseman. Vous laissez tomber et vous écrasez environ soixante mètres plus bas en vous brisant tous les os du corps est votre droit le plus strict. Je ne suis pas là pour vous l'enlever.

- Pourquoi alors ?

- Pour vous ouvrir les yeux, Mr Wiseman. Vous ne le savez pas, mais vous ne voulez pas sauter.

En voyant son visage, Jess se demanda si elle n'avait pas dit une bêtise. Prétendre qu'elle savait mieux que lui-même ce qu'il pensait n'était pas judicieux. De là à ce qu'il saute rien que pour prouver qu'il avait raison... Ca paraissait un peu exagéré, mais les réactions humaines pouvaient toujours être imprévisibles, même pour elle.

- Et vous bien sûr, vous savez ce que je veux, fit-il sarcastiquement.

- Ce n'est pas ce que j'ai dit. Je sais juste que vous ne voulez pas vraiment vous tuer. Parce que...

Elle et Angel se concentrèrent, essayant de capter quelque chose en provenance de l'esprit de cet homme assis à coté d'elles, au bord du vide. Au bout de quelques secondes, une image leur apparut. Celle d'une femme.

- Parce que vous ne voulez pas laissez votre femme seule. Je ne sais pas pourquoi en cet instant, la vie ne vous parait plus une raison suffisante pour rester de ce monde. Mais je sais que si vous ne sautez pas aujourd'hui, vous trouverez demain une réponse à vos questions.

Jess se tut, ne sachant quoi dire d'autre. Elle détourna ses yeux de ceux d'Eric Wiseman, et eut la mauvaise idée de regarder en bas. Le vertige la saisit de nouveau. Mais pendant un instant, ce ne fut pas si désagréable. Le vide ne lui parut plus effrayant mais au contraire, l'attirait. Etait-ce parce qu'elle était en phase avec Eric ou bien.... Non, pensa Angel de toutes ses forces. Alors les yeux de la jeune fille devinrent gris argent, son regard se fit plus doux mais aussi plus triste. Elle se tourna vers Wiseman.

- Si vous ne vivez pas pour vous, faîtes le pour elle. Vivre pour quelqu'un est un moyen comme un autre de se sentir vivant. C'est là votre problème, Mr Wiseman. Vous ne vous sentez plus vivant. Vous avez l'impression de ne plus exister. Et vous croyez qu'en vous suicidant, vous recommencerez à exister pour votre femme, ne serait-ce que par le biais du deuil. Mais il y d'autres méthodes.

Eric Wiseman ne comprenait pas comment cette fille pouvait savoir avec tant de précision ce qu'il ressentait. Mais cela lui était égal. Il leva vers elle un regard empli de fatigue.

- C'est plus facile à dire qu'à faire.

- Et c'est encore plus facile d'abandonner et de mourir. Mais les chemins de la facilité ne conduisent pas forcément au bonheur. Donnez moi votre main, venez avec moi. S'il vous plaît.

Pour la seconde fois, elle lui tendit sa main. Cette fois il ne lui dit pas non. Il fixa tour à tour le vide et la main offerte. Et choisit. Quelques instants plus tard, Angel et Eric Wiseman avaient repassé la fenêtre. Jess ne put s'empêcher de pousser un soupir de soulagement. Eric Wiseman le remarqua et mesura enfin l'ampleur de ce que cette jeune fille venait de faire pour lui. Et bien qu'il ne la connaisse pas, il la serra dans ses bras durant une longue minute.

- Je ne sais pas comment vous remercier... commença t-il.

- Ce n'est rien, le coupa Angel. Simplement... vous ne m'avez jamais vue, d'accord ?

Il hocha la tête, ne se demandant même pas pourquoi elle lui demandait de nier qu'elle l'avait aidé. Si c'était ce qu'elle voulait, il le ferait sans poser de questions.

- Mais si jamais vous avez encore besoin d'aide... je crois que je le saurai.

Ils eurent un bref moment de silence, que Jess rompit.

- Je... je vais partir maintenant.

- Encore merci.

Elle hocha la tête et lui fit un petit sourire avant de s'en aller. Elle le laissait seule mais avait la certitude qu'il ne sauterait pas. D'ailleurs elle l'entendit prendre l'ascenseur tandis qu'elle descendait par les escaliers.

Arrivée en bas, elle sentit une présence derrière elle. Elle se retourna et adopta une position défensive tandis qu'une silhouette sortait de l'ombre.

- David ?

- Hey, tu sembles bien agressive.

- Excuse moi, je suis un peu à cran. Qu'est-ce que tu fais là ?

- Je me suis dit que tu aimerais avoir quelqu'un pour te raccompagner.

Elle lui fit un de ces petits sourires qu'il aimait tant.

- Merci, chevalier servant, se moqua t-elle sans méchanceté aucune.

- Mais tout à fait.

Ils marchèrent tous deux dans les rues noires et désertes. Jess ne disait rien. Si elle ne voulait pas lui raconter ce qui s'était passé, David le comprenait mais quelque chose la tracassait et il aurait voulut qu'elle en parle. Il s'arrêta.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Rien de grave.

Mais son ton disait nettement le contraire.

- Allez, c'est moi. Tu sais que tu peux tout me dire.

- Quand j'étais là haut, j'ai eu comme....

- Quoi ?

- Pendant une seconde, moi aussi j'aurais voulu abandonner, et me laisser tomber.

- C'est normal Jess, tu étais reliée à ce type et...

- Non, il y avait vraiment une part de moi qui le désirait. Et ce n'est pas la première fois que je ne sais plus ce que je ressents. Je me suis perdue en moi-même, et en Angel. C'est à cause du transfert. Il s'est mal passé.

- Comment ça ?

- Angel devait investir mon corps comme une seconde entité, bien distincte de moi. Mais nous avons fusionné, appelle ça comme tu veux. Physiquement, je ne suis plus un être humain, et je ne suis pas non plus une Daeren. Alors qu'est-ce que je suis ?

Dans sa voix transparaissait son mal être et son sentiment d'être perdue. David comprit qu'elle craquait.

- Et ce que je ressens ? Les émotions des autres, et je me souviens de leur vie sans l'avoir vécue, alors qu'Angel a oublié la vie qu'elle a vécue. Et d'ailleurs qui te parle là ? Jessie ou Angel ? Ou même l'une de toutes les personnes qui m'appellent sans cesse. Qui sait ? Je...

Il la prit par les épaules, pour essayer de la calmer.

- Je ne sais plus qui je suis...

Elle se mit à pleurer silencieusement. David la prit dans ses bras, lui caressa les cheveux, sans dire un mot. Il attendit que la crise de larmes soit passée. Quand ce fut le cas, il lui murmura à l'oreille :

- Tu es Jessie, et si c'est moi qui te le dis, as tu besoin d'une autre preuve ?

  Elle secoua négativement la tête, et lui fit son plus beau sourire, les yeux brillants.

- Ca va aller maintenant, lui promit-il.

Je ne crois pas, pensa Jess pour elle-même.

*      *      *

        - Des cookies ? Tu as fait des cookies ? répéta Jack, incrédule.

Les talents culinaires de Al n'étaient pas si pauvres, -encore que sur ce sujet, Jack ne lui disait pas toujours la vérité- mais il n'aimait pas préparer autre chose que le strict nécessaire à sa survie. Et Jack l'imaginait très mal en train de faire des cookies.

- C'est ça. Depuis que j'en ai mangé l'autre fois chez Lisa, je n'arrive plus à m'en passer. Et puis peut-être que pour une fois, ton sale gamin ne critiquera pas ma cusine !

Il tendit le plat à Georges qui par Jack ne savait quel miracle n'avait rien cassé de la soirée. Le petit garçon avala le gâteau en une bouchée. Al eut un regard désapprobateur mais amusé.

- Je suis rassuré. A la vitesse où il les mange, il ne peut pas être capable de dire si c'est bon ou mauvais...

Lorsque Georges eut ingéré les trois quarts du plat, son oncle alla le coucher et revint dans la salle à manger. Al avait mis de la musique enjouée pour dissiper l'ambiance triste qui subsistait depuis qu'ils avaient fait ce débat. Les paroles des différents élèves repassaient dans sa tête... Jack resta silencieux quelques minutes, s'impregnant du morceau de Louis Amstrong. What a wonderful world, chantait le jazz-man. C'était vrai. Aussi tordu que ce soit ce monde, il y avait des choses pour tout rattraper. Comme de manger des cookies avec son meilleur ami.

- Puisque tu parlais de Lisa Phillips... comment va t-elle ?

- Je ne saurais le dire de façon précise. Elle supporte bien le choc, ou du moins c'est l'image qu'elle donne. Mais elle est complétement perdue de ne pas pouvoir aider Lucie de manière concrète.

Jack le comprenait parfaitement. C'était tout à fait dans le caractère de la mère de David. Elle était toujours à l'écoute des autres, et que sa fille ne puisse plus lui parler devait être déstabilisant.

- Elle doit se sentir un peu seule. Lucie était... est la seule "adulte" de sa famille.

Ses yeux s'illuminèrent, signe qu'il venait d'avoir une idée.

- Quoi ? demanda Al.

- On devrait peut-être l'inviter à dîner. Ca lui changerait les idées.

La proposition enchantait Al. Mais quand il prit conscience de ce que cela impliquait, il paniqua. Jack le vit tout de suite, et se demanda ce que son ami éprouvait à l'égard de Lisa. Etait-il... amoureux ? Il aurait pu penser que ce n'était pas son genre, mais si Jack connaissait Al depuis des années, celui-ci arrivait encore et toujours à le surprendre. Et il adorait ça.

- Ne t'inquiète pas, lui dit-il. Je ferai la cuisine.

Al lui jeta un cookie à la figure. Jack s'essuya le visage et se mit à rire. Ils venaient de passer une journée éprouvante, douloureuse même. Pourtant ils arrivaient à la finir en riant.

" I see skies of blue and clouds of white,
The bright blessed day, the dark sacred night,

And I think to myself, what a wonderful world..."


*      *      *

            Jess décida de ne pas rentrer chez elle ce soir. Elle appela ses parents pour les prévenir qu'elle découchait, mais sans leur révéler le véritable endroit où elle comptait passer la nuit. Pour la troisième fois aujourd'hui, elle gagna l'appartement de Lucie.
C'était encore l'endroit où elle se sentait le plus chez elle. Ce matin, l'absence de son amie avait rendu le lieu presque macabre à ses yeux, mais ce soir, elle songeait qu'il fallait continuer à vivre, et que Lucie reviendrait. Bizarrement, elle s'y sentait mieux seule qu'avec ses amis. Elle dégagea le canapé des divers livres qui l'encombraient et le déplia pour en faire un lit. Elle en changea les draps, rangea les livres et nettoya l'appartement en entier. Elle voulait que tout soit parfait quand Lucie rentrerait. Lorsqu'elle eut fini, elle se laissa tombée épuisée sur le lit. Mais n'eut guère le loisir de se reposer. A l'instant où elle ferma les yeux, la silhouette familière du Médiateur se matérialisa.

- Oh non, pas maintenant, protesta t-elle.

- C'est la première et la dernière fois que je vous rends visite ici. Disons qu'il s'agit là de votre sanctuaire Mlle Wells, et que je n'y pénétrerai donc pas.

- Pourtant vous êtes là.

- Exceptionnellement ce soir. Pour vous féliciter. Vous avez pris un excellent départ dans votre poursuite du travail des anges. Vous avez su comment réagir avec cet homme, lui redonnez une raison de vivre. C'était parfait. Vous serez un bon élément.

Jess ne le comprenait décidément pas. A présent, il la félicitait alors qu'auparavant, il voulait lui faire croire qu'Angel et lui-même étaient des créations de son esprit. Peut-être que, ce plan ayant échoué, il essayait une nouvelle tactique, qui consistait en premier lieu à se rapprocher d'elle. Elle ne se laisserait pas manipuler.

- Merci au revoir, enchaîna t-elle sans pause.

- Message reçu Mlle Wells, répondit-il en lui faisant un clin d'oeil. A bientôt.

Il s'effaça aussi vite qu'il était apparut, laissant Jess et Angel plus perplexes que jamais. C'était bien la première fois que le Médiateur partait sur leur commande. A chaque nouvelle visite, son comportement différait de ceux qu'il avait manifestés avant, créant ainsi la confusion dans l'esprit de celles qui s'avéreraient peut-être être ses proies. Il fallait rester prudentes...

- N'y a t-il rien d'étrange que tu aurais remarqué chez lui ? demanda Angel.

- En dehors du fait qu'il soit maniaque obsessionnel et perturbant tu veux dire ? ironisa son amie.

L'ange soupira intérieurement, et continua :

- Il ne ressent rien ! Tu as beau "scanner" son esprit en cherchant à percevoir ses émotions, tu ne captes rien.

- Peut-être que l'empathie ne marche pas sur lui.

- Peut-être. Ou peut-être que réellement, il ne ressent rien. Il pense, mais ne ressent pas. C'est plutôt contradictoire non ?

- Certaines machines pensent, au sens où elles sont capables de déduction. Mais elles ne ressentent pas non plus d'émotions. A mon avis, "je pense donc je suis" n'est plus valable. Si l'on ne ressent pas, peut-on être considéré comme quelque chose de vivant à part entière ? Comme un être humain ?

- Je ne sais pas. Je ne pensais pas qu'on en viendrait à dissocier le fait de penser et de ressentir. Comme l'a dit ton professeur, il deviendra de plus en plus compliqué de définir clairement l'être humain. Seulement, vous oubliez quelque chose.

- Quoi donc ?

- Il n'est pas que les êtres humains qui pensent et qui ressentent.

Elles restèrent quelques instants muettes, songeuses. Angel sentait que quelque chose perturbait Jess, et devinait de quoi il s'agissait. Mais elle préférerait que la jeune fille fasse le premier pas pour lui en parler.

- Angel ?

- Oui ?

- Pourquoi j'ai voulu sauter ?

- Parce que pendant une seconde, tu ne vivais plus. Tu survivais. Depuis que tu as ouvert les yeux Jess, tu n'abordes plus la vie de la même façon. Depuis la première phase, tu vis dans l'attente angoissante d'une autre. Elle arrive, tu encaisses le choc, tu règles le problème et tu attends de nouveau.

- Non, je...

- Depuis que tu as découvert notre "mission", es-tu allée une fois voir un film avec tes amis ? As tu remis de la musique gaie pour te réveiller le matin ? As tu regardé les étoiles comme tu le faisais avant, ou seulement rit ? Le fait que tu ai songé à sauter est un avertissement.
Il faut que tu revives Jess que tu te redécouvres des raisons de vivre. Car si ce monde, ton... notre monde n'est pas parfait, il y a tout de même de belles, de merveilleuses choses qui font que la vie sur Terre vaut d'être vécue.

Elle avait raison. Ca lui semblait tellement évident maintenant. Pour la seconde fois, Angel venait de lui ouvrir les yeux.

- Merci.

- Pas de quoi. Il faut que tu comprennes que je l'ai aussi dit pour moi. Comme Tania nous l'a dit, être ici est dangereux pour moi. Notre fusion compliquera les choses, et si me "rétracter" en toi me protégera de l'extérieur le plus longtemps possible, je ne souhaite pas pour autant rester terrée de la sorte et ne sortir que pour les phases. Je veux aussi être là pour parler avec toi, écouter de la musique ou regarder les étoiles.

Le message était clair, et Jess avait comprit. Angel ne tentait pas de survivre en ce monde, mais bien d'y vivre. Et elles savaient toutes les deux que la vie avait ses bons comme ses mauvais cotés.

- Mais ce soir, murmura Angel, concentrons-nous sur les bons.

Elle ouvrit les yeux. Elle se rendit sur le balcon et en compagnie de Jessie, elle contempla les étoiles toute la nuit, se demandant de laquelle elle venait. Elle l'ignorait, et ne pouvait être certaine de le savoir un jour. Mais s'il y avait une chose qu'elle savait, c'est que sur cette planète si étrange, elle pouvait aussi se sentir chez elle. Et y vivre.

_____________________________

fin de l'épisode 1_03
suite dans 1_04 : Juste devant nous

 

retour aux épisodes